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François Truffaut, moderne parce que désuet.

J’ai revu avec grand plaisir 'Le Dernier Métro' de Truffaut, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Andrea Ferréol. Ça n’a pas pris une ride, peut-être parce que c’est un film d’époque, ‘à costumes’ – les films ‘historiques’ vieillissent en général mieux que ceux tournés dans leur époque même, c’est flagrant avec 'Passion et Désir' de Visconti, tourné dans les années 70, et dont les costumes sont du Yves Saint-Laurent très chic alors, mais qui a mal vieilli.

 

De même que pour les films costumés qui, déjà décalés dans le temps et parlant du temps passé, ne vieillissent pas visuellement, il y a chez Truffaut, dans le côté factice, précieux, littéraire, travaillé du texte et des dialogues, le côté artificiel même, une datation qui fait que paradoxalement ses films vieillissent beaucoup moins que des films tournés dans un langage contemporain qui convient parfaitement à un documentaire mais vieillit très vite dans une fiction.

 

'Le Dernier Métro' se passe en 39-45, sous l’Occupation, Catherine Deneuve porte ses cheveux dans un espèce de chignon qui entoure la tête, les habits sont d’époque, le contexte historique est subtilement disséminé dans les affiches sur les murs, les chansons qu’on entend (en allemand pour certaines, mais aussi Mon amant de Saint-Jean), dans les dialogues, où l’on parle de couvre-feu, d’abris et de leurs horaires, de marché noir, de bas dessinés directement sur la jambe, de places de théâtre réservées aux Allemands, de ce critique de théâtre français pro-allemand qui régnait sur la presse collaborationniste et à qui Jean Marais avait cassé la gueule – une scène que Truffaut transcrit ici…

 

Ce contexte historique est aussi présent dans la pièce de théâtre représentée, légèrement désuète dans son vocabulaire, dans ses dialogues, et dans sa thématique, quelque chose comme du Bernstein, ce qui serait d’ailleurs adéquat puisque l’époux de Marion Steiner-Catherine Deneuve, le fabuleux et touchant Heinz Bennent, est censé être un directeur-metteur en scène d’origine juive, Lucas Steiner.

 

Le film joue sur plusieurs tableaux : les années de guerre, les sentiments réels et ceux factices de la pièce en train d’être répétée et jouée. Raffiné. Un film qui ressemble, dans sa conception, au merveilleux 'Fanny et Alexandre' de Bergman, qui tourne aussi autour d’une troupe de théâtre révélatrice, par contraste, de toute une société, et un hommage au théâtre tout à la fois.

 

J’ai aussi trouvé – cela m’a confirmé même -, que le cinéma de Truffaut, à la fois profondément visuel et cinématographique, est aussi profondément littéraire, de vrais romans, de la vraie fiction, qui fonctionne comme une fiction, qui s’appuie sur le réel et le métamorphose en le formulant, en le malaxant, en le faisant passer par un moule littéraire (les dialogues) et cinématographique (plans, éclairages, musique, rythme, montage).

 

À ceux qui trouveraient Truffaut surfait, qui penseraient que sa réputation est exagérée, on peut tout de suite donner des exemples de films de Truffaut qui sont des merveilles de cinéma, totalement cinématographiques, c'est-à-dire des gesamtkunstwerke, des œuvres intégrant, comme l’opéra, différents aspects de la création artistique – je pense à 'Fahrenheit' (le générique énoncé sur un fond d’antennes de communication sur les toits, parfaitement adapté au film qui parle d’un monde où l’écrit est interdit), aux 'Quatre-cents coups' qui a su capter l’enfance et son espièglerie, mais aussi sa richesse et sa logique, avec des plans et un naturel extraordinaire, à 'Jules et Jim' et son charme libertin, à 'La Maison d’à côté' où l’on retrouve cet érotisme subtil lorsque les gens font l’amour (dans 'Le Dernier Métro', Catherine Deneuve et Gérard Depardieu sont filmés alors que lentement ils se couchent sur le sol derrière une table, on voit un plan sur la jambe gauche de Deneuve sur laquelle passe une main caressante et fébrile qui remonte jusqu’à la jarretelle, elle dit juste « Oui, oui… oh oui » tendrement, le tout est d’une extrême sensualité et c’est tout ce qu’on voit…). C’est encore mis en valeur par le dialogue littéraire, légèrement désuet, où toutes les liaisons sont faites, où l’on se voussoie…

 

En écoutant la longue interview de Truffaut avec Hitchcock, on comprend le travail de Truffaut, son intelligence extraordinaire, qui « décompose » les films (il allait voir les Hitchcock plusieurs fois, une fois en entier, une autre fois en se bouchant les oreilles pour ne voir et ne comprendre que l’image, une autre fois en fermant les yeux pour en comprendre la construction sonore).

 

Truffaut, littéralement, construit ses films partie par partie avec une connaissance parfaite de chaque partie et de son fonctionnement dans l’ensemble, il y ajoute le côté littéraire et le côté amoureux.

 

©Sergio Belluz, 2015, le journal vagabond (2014).

 

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08/11/2015
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