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Janine Massard, une grande auteure suisse en 13 titres : 'Trois mariages' (Vevey : L’Aire, 1992)

Sous-titré ‘Récits’, ce livre magnifique, récompensé par le Prix des Écrivains vaudois, est composé de trois grandes nouvelles qui sont autant de variations sur le thème du mariage. Janine Massard y fait le portrait précis, en discours indirect libre et par la fusion des narrations, de personnages de différentes catégories sociales.

 

Dans la première, Le Berceau des ombres, réapparaissent les trois Parques de La Petite monnaie des jours qui interviennent pour commenter une noce familiale du passé et se plaindre à la narratrice de la manière dont elle raconte les événements. En passant, on assiste à un mariage modeste où la question des frais est cruciale :

 

« La noce se rend dans une brasserie populaire où une table a été réservée. Alice et Pierre sont très excités : c’est la première fois qu’ils mangent au restaurant. Pendant l’apéritif, Robert se tourne vers Eugène, et lui rappelle que, dans les familles bien, les parents de la mariée paient la noce et ceux du marié la chambre à coucher. Eugène est pris de court. Très lentement, il répond que euh, ouais, il paraît que ça se pratique chez les bourgeois, là où il y a de l’argent, mais chez eux, on vit plutôt au jour le jour et on tourne tout juste. Une chose pareille, ça se discute avant, et puis, Edmée a cousu le vêtement de la mariée, même si ce n’était pas une robe blanche avec des volants, c’était du travail tout de même. »

 

Dans les bras du soleil, la deuxième nouvelle, évoque une veuve aisée qui, pour survivre à la douleur et à la solitude, se consacre au jardin de sa belle villa près du lac et qui n’a pour compagnie que sa femme de ménage, la solide Mme Fichquet :

 

« Mme Fichquet l’a cherchée partout : Dieu sait encore où elle a passé, ma fi, reviendra bien, elle et ses sautes d’humeur. Elle a deux peines, se fâcher et se réconcilier : c’est maman qui disait ça. Elle en connaissait un bout sur le cœur humain, de son temps les gens montraient leurs sentiments alors c’était plus facile de les observer. Quoique la patronne, je ne dirais pas qu’elle est antipathique, elle est têtue, la preuve c’est son jardin. Que le mari ait laissé faire une chose pareille, je ne comprends pas : moi, je te lui aurais dit halte-là quand même, un peu de pelouse, quelques rosiers, et je l’aurais forcée à garder le nom de Louis de Funès pour cette belle rose mandarine et jaune clair. Elle l’a rebaptisée Aube du désert, quel toupet ! Et puis, j’aurais interdit la glycine, pour quelques belles grappes fleuries, il faut supporter des feuilles à n’en plus finir, elles commencent à sécher à mi-août, et qui c’est qui doit balayer tout ce fourbi qui s’enfile sur la terrasse puis dans le salon au moindre coup de vent ? C’est bibi. »

 

Dans la dernière nouvelle, Les Frontières de ton corps, une femme, la cinquantaine négligée, abandonnée par son mari et qui se survit  à elle-même, tombe sur une petite annonce, ‘Homme début quarantaine ferait la connaissance d’une dame très forte âge indifférent’. L’espoir alors renaît… :

 

« Elle se déshabille devant son armoire à glace, constate : bourrelets de graisses partout, chair éclatée par les cellules adipeuses, seins lourds, tombants, ravinés de vergetures. Exhiber cette catastrophe devant un homme de quarante ans, tu es folle ou quoi ? Et, s’adressant au miroir : que peut chercher un homme auprès d’une femme aussi enveloppée que toi ? L’image de sa mère, parce que la sienne était délicieusement dodue et douce. À moins qu’il ait eu une mère échalas cassante et pointue, ou encore, pas de mère du tout. Mais quoi, alors ? Une masse à pétrir ! Bon, assez discutaillé ma fille, tu prends ton courage à deux mains et tu écris cher Monsieur je pèse cent dix kilos peut-être cent vingt j’aimerais bien faire votre connaissance malgré mes cinquante et un ans et mes situations de désespérance passée je me dis pourquoi pas de nouveau un homme une amitié au moins…Amitié ? Le désir prend corps. Tant pis pour les poux des capucines. »

 

©Sergio Belluz, 2015.

 

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Janine Massard, une grande auteure suisse de langue française en 13 titres

Trois mariages (Vevey : L’Aire, 1992)



07/07/2015
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