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Notes grecques (06) : un enfant du Pirée

Quand je suis à Athènes, il y a toujours un moment où je rejoins le Pirée. C’est mon 'À la recherche du temps perdu grec' à moi. Je repars à chaque fois sur les traces de ce moment intense d’éternité enfantine où nous vivions, ma soeur et moi, sur une des collines de la ville, dans un quartier modeste mais tout neuf situé dans ce Pirée si vieux.

 

Le métro menant au Pirée est toujours aussi déglingué et brinquebalant : pas d’air conditionné (on abaisse les fenêtres), de vieux sièges usés jusqu’à la corde, et des graffitis partout. Toujours bondé de voyageurs allant prendre leur bateau pour quelque île ensorceleuse, il accomplit le trajet en moins d’une demi-heure, passant par la station ‘Thésée’, ce qui vaut mieux que d’aller de Charybde en Scylla.

 

La vieille station terminus du Pirée est en éternels travaux (au pluriel), qui font échos aux éternels travaux autour de la station, sans compter les éternels travaux du port lui-même, mais l’authenticité est à ce prix : le jour où les différents chantiers du Pirée seront terminés, il y manquera quelque chose.

 

Le Pirée est une très grande ville, indépendante d’Athènes. Dans mes souvenirs, elle vient rejoindre cette autre grande ville grecque à l’échelle mondiale, celle-là, où j’ai aussi vécu quelques temps : Melbourne, en Australie.

 

D’une certaine manière, des correspondances se sont crées entre les endroits où j’ai habité, travaillé, vécu, puisque le quartier grec de Melbourne que je découvrais à vingt-deux ans, alors que je travaillais au Consulat général de Suisse, me faisait revivre le bonheur de ce Pirée, lui aussi peuplé d’immigrants, ce Pirée que j’avais connu enfant, musique et souvlaki compris.

 

Je repensais à ça en visitant l’ancien Pirée, avec ses immeubles désaffectés, ses petits entrepôts et commerces qui s’effondrent et où devait vivre une grande partie des Grecs rapatriés de force après la guerre avec la Turquie en 1922.

 

Il avait fallu les accueillir, les héberger, ces Grecs d’Anatolie, de Constantinople, de Smyrne et d’ailleurs, une population qui avait doublé d’un coup celle de la Grèce.

 

Ce sont eux les créateurs du rebetiko, ce blues grec aux accents orientaux, où l’on raconte toute la peine d’avoir tout perdu, tout le réconfort qu’on trouve dans l’alcool ou la drogue, sans compter les histoires d’amours, souvent sordides...

 

Ces Grecs de l’Orient, je les visualisais en me promenant dans tout ce quartier en déliquescence, dont les toits sont effondrés, dont les boutiques, hier prospères, n’ont plus que leur enseigne décatie à montrer, souvent le nom du propriétaire et sa marchandise.

 

Aujourd’hui, plus que le spectacle des ruines antiques (la mort des civilisations, un poncif usé pour Anglais oisif et fortuné effectuant son Grand Tour...), c’est le spectacle des quartiers fantômes prolétaires et commerçants balayés par la logique économique qui m’émeut à chaque fois que j’en suis le témoin.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017).

 

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16/10/2017
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