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'Il Viaggio a Reims' de Rossini ou Fellini vocalisant.

Ce ‘Viaggio a Reims’, quelle merveille d’humour! C’est une des traditions du Festival Rossini de Pesaro : chaque année, pour clore le festival, on présente cet opéra qui a le mérite de compter plus de vingt personnages : les jeunes chanteurs de l’académie rossinienne (des professionnels du monde entier venus parfaire leur technique de chant dans ce répertoire si spécifique) s’en donnent à cœur joie.

 

La mise en scène d’Emilio Sagi, l’Espagnol directeur du Teatro Real de Madrid (et avant, du Teatro de la Zarzuela, où je l’avais rencontré) est une petite merveille de simplicité décalée, une sophistication dont il a le secret.

 

Je me souviens d’avoir vu à Madrid La Rosa de Azafrán, une ‘zarzuela’ du compositeur Zorozábal, qu’Emilio Sagi avait mis en scène : un balcon sortait de la paroi lorsque le baryton (mon ami Federico Gallar) devait chanter la sérénade, un balcon où se trouvait une Dulcinée s’éventant avec un grand éventail rose, le tout sur fond bleu... C’était à la fois simple, ingénieux, peu coûteux et formidablement expressif, dans le respect du genre, mais avec un second degré.

 

La mise en scène de ce même Emilio Sagi pour ‘Il Viaggo a Reims’, avec tous ses protagonistes – la Marchesa Melibea, la Contessa di Folleville, Madama Cortese, le Cavalier Belfiore, le Conte di Lebenskof, Lord Sidney, Don Profundo, Il Barone di Trombonok, Don Alvaro, Don Prudenzio... –, doit à la fois éviter les alignements inhérents aux pièces comptant de nombreux personnages, et permettre l’action.

 

Or Emilio Sagi s’amuse au contraire à créer l’alignement tout en permettant le mouvement : au lieu de l’auberge habituelle où, à cause d’un problème de transport, se retrouvent tous ces personnages allant au couronnement de Charles X, il imagine une terrasse d’hôtel de station balnéaire, où sont alignés les transats, et où les personnages défilent et se retrouvent tous, à certains moments, en peignoir dans le premier acte, en habits de cérémonie dans le second, tout ça sur fond de ciel azur qui, à mesure qu’avance l’œuvre et la journée, voit apparaître quelques nuages vaporeux, puis une magnifique pleine lune, jouant à nouveau intelligemment sur le kitsch sans jamais nuire à l’œuvre, en la magnifiant dans son second degré et son ingéniosité, au contraire.

 

Cela permet aussi de montrer le personnel de l’hôtel, de jouer avec une espèce de strip-tease du Cavalier Belfiore (dans la version que j’ai vue, un chanteur aussi sexy qu’un modèle pour slip Versace, un ténor vénitien d’après son nom, Nico Darmanin, magnifique chanteur aussi, et extraordinaire comédien !) ou avec les coquetteries de la Contessa di Folleville (l’espagnole Isabel Rodríguez García).

 

Fantastique aussi d’avoir fait chanter le personnage de Corinne (une belle et brillant Shahar Lavì) dans le public, depuis l’une des loges du troisième balcon, avec la harpiste à ses côtés.

 

Dans cette version, Don Profundo est interprété par le fabuleux (et stentorien) Yunpeng Wang, un magnifique et élancé baryton chinois, pendant que la marquise Mélibée, une frivole séductrice, est incarnée par la grande et pulpeuse japonaise Aya Wakizono.

 

Le Comte (russe) de Libenskof est chanté par le tenorino Anton Rositskiy, Lord Sidney par Marko Mimika (croate ? serbe ?), le Barone di Trombonok, par Anton Markov (bulgare ?), Don Alvaro par Iurii Samoilov (russe ?)...

 

Tous ces jeunes chanteurs s’amusent, le résultat est drôle, enlevé, charmant, frais et superbement musical, ce qui prouve qu’on peut créer des chefs-d’œuvre sans vedettes, par la seule force de la mise en scène et du travail sur la musique et son interprétation.

 

C’est la deuxième fois que je vois ‘Il Viaggio a Reims’ à Pesaro, je trouve extraordinaire qu’avec la même mise en scène, mais avec une équipe complètement renouvelée chaque année, on arrive à une telle perfection scénique et expressive qui doit tout autant à la partition facétieuse et brillante de Rossini (qu’on a récupérée du Conte Ory grâce aux travaux de la Fondation Rossini de Pesaro) qu’à la mise en scène maline, ingénieuse et respectueuse d’Emilio Sagi, décidément toujours original et simple à la fois (comme Jean-Pierre Ponnelle).

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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15/01/2016
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