sergiobelluz

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* André Gide *


Gide, élève dissipé de l'Ecole Alsacienne.

« C’est au Jardin des plantes que M. Brunig nous conduisait immanquablement; et immanquablement, dans les sombres galeries des animaux empaillés (le nouveau Muséum n’existait pas encore) il nous arrêtait devant la tortue luth qui, sous vitrine à part, occupait une place d’honneur ; il nous groupait en cercle autour d’elle et disait : « Eh bien, mes enfants. Voyons ! Combien a-t-elle de dents, la tortue ? (il faut dire que la tortue, avec une expression naturelle et comme criante de vie, gardait, empaillée, la gueule entrouverte.) Comptez bien. Prenez votre temps. Y êtes-vous ?»


Mais on ne pouvait plus nous la faire ; nous la connaissions, sa tortue. N’empêche que, tout en pouffant, nous faisions mine de chercher ; on se bousculait un peu pour mieux voir. Dubled s’obstinait à ne distinguer que deux dents, mais c’était un farceur. Le grand Wenz, les yeux fixés sur la bête, comptait à haute voix sans arrêter et ce n’est que lorsqu’il dépassait soixante que M. Brunig l’arrêtait avec ce bon rire spécial de celui qui sait se mettre à la portée des enfants, et, citant La Fontaine :


« Vous n’en approchez point. » Plus vous en trouvez, plus vous êtes loin de compte. Il vaut mieux que je vous arrête. Je vais beaucoup vous étonner. Ce que vous prenez pour des dents ne sont que des petites protubérances cartilagineuses. La tortue n’a pas de dents du tout. La tortue est comme les oiseaux : elle a un bec. »


Alors tous nous faisions : « Oooh ! » par bienséance. »

 

André Gide, ‘Et si le grain ne meurt’.

 

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19/01/2016
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En 1924, le 'Corydon' de Gide contre le baron Charlus de Proust

« J’ai dîné, un soir de 1924, chez les H***, protestants alliés à toutes les bonnes familles du Havre.

               

Dans ce milieu gai des Havrais de Paris, où l’on attache quand même plus de prix aux sports d’hiver qu’aux ballets russes et à un canapé neuf qu’à un livre, la parution de Corydon a causé une sensation profonde, plus profonde encore qu’ils ne le savent. Et premier symptôme, on a parlé à table de l’homosexualité, calmement, froidement, comme d’un cas clinique assez répandu. Cela semblera peut-être tout naturel dans dix ans. C’est incroyable aujourd’hui et d’autant plus que les enfants étaient à table (des enfants majeurs, mais la chose en est à peine moins curieuse).

 

C’est un sujet qu’on n’aurait peut-être jamais abordé dans une salle à manger bourgeoise et protestante si André Gide n’avait été lui-même un bourgeois protestant à l’aise, un homme par conséquent qu’on ne soupçonne d’aucune vilenie. La publication des ouvrages de Proust n’avait pas du tout fait le même effet. Les bourgeois les plus osés, pour ce livre-là, se contentaient de chuchoter d’un air entendu (et était-ce assez odieux) : « Proust… ma chère », en se donnant sur le menton un coup de doigt léger. Gide l’emporte. Ce n’est du reste pas certains parents seulement que ce livre libère. On m’a dit que beaucoup de jeunes gens qui osaient à peine (ou pas du tout) s’avouer la singularité de leurs inclinations se sont tout à coup reconnus, et qu’ils ont pris le parti d’un goût dont la pratique est peut-être nécessaire à leur équilibre. »

 

Maurice Sachs, Au temps du Boeuf sur le toit, Paris : Les Cahiers rouges, Grasset, 1987 (1ère édition, 1939).

 

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23/05/2015
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André Gide et les coquilles.

Une note amusante de son Journal, en date du 15 décembre 1937: "On raconte que Rosny, exaspéré par les erreurs typographiques que les protes faisaient ou laissaient passer, écrivit un article vengeur intitulé « Mes coquilles ». Quand Rosny le lendemain ouvrit le journal, il lut avec stupeur, en gros caractères, cet étrange titre: 'MES COUILLES' Un prote, négligent ou malicieux, avait laissé tomber le q..."

J’écris ceci pour me consoler. »

 

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06/05/2015
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André Gide et l'Etat.

"A dire vrai, les devoirs envers l'Etat sont ceux que j'ai mis le plus de temps et eu le plus de mal à apprendre. Je suis resté longtemps à leur égard dans cette confiance naïve de l'enfant qui s'imagine que son chocolat du matin arrive tout chaud quotidiennement sur sa table, en vertu de quelque nécessité cosmique. Il est bon, pour l'éducation de l'enfant, que, par quelque perturbation familiale, son chocolat, de temps à autre, soit renversé. La peur de ne plus avoir de chocolat du tout est salutaire."

André Gide, Journal 1889-1939 (Bibliothèque de la Pléiade/Gallimard, 1982)

 

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05/05/2015
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