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* mes Italies *


Pesaro (09) : Anna l’Italienne et Anna la Polonaise ou Tenir son rang (de perles).

Vers minuit, Anna l’Italienne, Anna la Polonaise et moi-même sommes partis pour rejoindre le Théâtre Rossini afin d’y apposer la sacro-sainte liste d’inscription au ‘loggione’ (Anna l’Italienne s’est improvisée ‘capolista’, cheffe de liste) et s’y inscrire en bonne position pour la représentation d’Aureliano in Palmira, le Rossini du lendemain.

 

Mais au Teatro Rossini, à 23.45, une liste avait déjà été mise sur la porte. Anna la Polonaise s’y inscrit en cinquième position, non sans avoir argumenté avec deux types qui s’y sont aussi inscrits mais qui trouvent ce système idiot.

 

Anna la Polonaise leur répond alors au quart de tour, et en profite pour se venger de tout ce qu’elle déteste dans le je-m’en-foutisme italien, qu’elle supporte depuis plus de trente ans – et dont elle a déjà intégré la verve imagée, ponctuée de communication non verbale parfaitement maitrisée, les doigts de chaque main réunis, pointant vers le haut et faisant, à hauteur de ventre, un mouvement ascendant descendant accompagnés de répétitifs « Ma a me non mi va tutto questo discorso », aussi flamboyants et inefficaces (mais jubilatoires) qu’un débat préélectoral dans une réunion de parti, urbi et orbi.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Cinematografo »©Annamaria Mazza, 2015.


13/01/2016
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Pesaro (08) : Anna l’Italienne ou Le gratin.

Anna l’Italienne me fait goûter ce qu’on appelle ici le graten (le gratin), qui est un plat délicieux, en particulier pour récupérer les légumes : on les découpe, on les mets dans de l’huile d’olive, on assaisonne, on saupoudre de panure et on passe tout ça au four (ça a un air de famille avec les tomates à la provençale que j’aime beaucoup faire, on mélange la panure avec de l’ail et du persil, et on recouvre de ce mélange des tranches de tomates qu’on passe ensuite au four).

 

J’ai aussi droit à une sorte de panettone salé, qui est quelque chose comme une foccaccia forrmat cake, délicieux – mais bourratif.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Senza tempo »©Annamaria Mazza, 2015.


13/01/2016
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Pesaro (07) : Anna l’Italienne ou Entre chiens et chats.

Quand on entre chez Anna l’Italienne, ce qui frappe d’abord c’est l’odeur de pipi de chat qui imprègne tout le rez-de-chaussée : Anna recueille les chats perdus. Elle a aussi un chien, un vieux chien paisible de seize ans devenu sourd et aveugle et qu’elle accompagne jusqu’à sa mort. Il s’appelle Otto. Anna dit qu’il a un prénom allemand, mais ce pourrait être le chiffre huit. Toute la maison est remplie de vieux livres, vieilles affiches d’opéra, anciens magazines, tout un bric-à-brac bohème que les chats se font un plaisir de déranger.

 

Le premier étage comprend trois grandes chambres avec de très hauts plafonds. Une autre pièce fait office de vestiaire pour son immense garde-robe (elle garde tout) qui ferait la fortune d’un boutiquier vintage : des robes new look Christian Dior, des complets-vestons de son frère, la robe de mariée de sa soeur, des vêtements de sa grand-mère, et ses multiples grands chapeaux.

 

Je crois qu’Anna porte ses chapeaux pour masquer ses pertes de cheveux dues à l’anorexie – elle fait d’un désavantage une élégance. Elle les décore d’un foulard à la couleur de ce qu’elle porte. En bonne italienne, elle est bronzée tout l’été, dans le sens fort du terme : de couleur bronze.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Delfini »©Annamaria Mazza, 2015.


12/01/2016
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Pesaro (06) : Anna la Polonaise ou L’hélicopéra.

Quand elle veut un billet d’opéra, Anna la Polonaise est prête à dormir devant la porte d’entrée du guichet, s’il le faut. Elle me raconte quelques anecdotes sur l’opéra à Florence : que le prestigieux festival du ‘Maggio fiorentino avait périclité, que l’opéra de Florence s’était transféré dans un autre bâtiment, que ce n’est plus le bon, beau et vieux théâtre de l’âge d’or.

 

À propos de l’Armida de Rossini présentée dans le cadre du festival Rossini de cette année, dans une mise en scène luxueuse de Luca Ronconi, lui-même florentin, elle dit qu’il a ruiné l’opéra de Florence avec ses exigences fastueuses : pour les représentations de The Faerie Queene de Purcell dans les Jardins Boboli, Ronconi avait exigé un hélicoptère....

 

À Florence (et ailleurs) un mot avait été créé à propos des outrances budgétaires de Ronconi : le ronconate.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Carte da gioco»©Annamaria Mazza, 2015.


11/01/2016
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Pesaro (5) : le ‘loggione’ ou l’Opéra buffa.

Pour une fois, je n’ai pas pu mettre mon nom juste après minuit sur la liste du ‘loggione’, je me rends au théâtre tôt le matin et, à mon grand soulagement, peux m’inscrire en vingt-quatrième position pour la représentation de ce soir.

 

Arrive un groupe de Japonais qui, en colère, constatent qu’ils ne figurent pas sur la liste, alors qu’ils s’étaient inscrits vers une heure du matin : selon eux, il y avait une autre liste.

 

Dieu merci, Wenzel, un Allemand pragmatique (c’est un pléonasme), avait photographié la liste vers une heure et demie, juste après s’y être inscrit. Il constate qu’il y avait bien une liste précédente.

 

Le groupe grossit, la colère aussi, à mesure qu’on s’approche du contrôle de présence prévu à 9.00.

 

(Une dame) « Moi, quand je suis passé vers une heure du matin, la liste précédente y était encore ».

 

(Un monsieur tout vieux, tout chauve et tout petit en culottes courtes corrige) « Cette nouvelle liste, c’est moi qui l’ai faite. Quand je suis arrivé ce matin, il n’y avait pas de liste, alors je suis retourné à mon hôtel pour aller chercher du papier. »

 

(Quelqu’un) « À mon avis, celui qui a volé la liste précédente se trouve sur la nouvelle liste... »

 

(Wenzel, le Teuton organisé) « De toute façon, j’ai photographié l’ancienne liste. »

 

(Une petite vieille dame élégante avec d’énorme lunettes rouges) : « Les photos, ça ne compte pas, on peut les truquer. »

 

(Anna l’Italienne, la capolista officielle, qui a un double papier de l’original, dont elle avait relevé les noms) « Faisons l’appel. »

 

Le vieux monsieur tout chauve et tout petit en culottes courtes proteste énergiquement.

 

(Moi) « Mais Monsieur, il y a une photographie de la première liste et aussi une copie papier. »

 

(Le Choeur) « C’est la capolista qui est responsable de la liste. »

 

(Anna l’Italienne et capolista, au Monsieur) « J’ai la copie de la première liste, vérifions. »

 

(Le vieux monsieur tout chauve et tout petit en culottes courtes) « Comment ça ? Moi qui suis venu exprès pour refaire la liste je suis en première position sur la nouvelle, il se passe quoi, alors ? Qui peut me prouver que c’est bien celle-là la vraie liste »

 

(Un choeur, outré) : « Ouais, c’est ça ! »

 

(Anna l’Italienne, capolista) « Faisons l’appel de ceux qui figuraient sur la première liste ».

 

(Le vieux monsieur tout chauve et tout petit en culottes courtes) « Ah non, ça ne compte pas ! »

 

(Le Choeur, outré) « Ooooooh ! »

 

(Anna l’Italienne, capolista fatiguée, à Walter, un autre Allemand) « Écoute, Walter, lis, toi, la liste pour l’appel ».

 

Walter commence à lire d’une voix inaudible et en écorchant tous les noms. Je prends la liste et la scande façon majordome.

 

(Anna l’Italienne, capolista) : « Bravo, Sergio ! »

 

Une discussion animée s’engage entre le vieux monsieur tout chauve et tout petit en culottes courtes, sûr de son bon droit, et les gens inscrits sur la première liste.

 

(Moi, bravant les injures) « Et si on ajoutait simplement les noms de la seconde liste à la fin de ceux de la première ? Problème résolu. »

 

(Le Choeur) « Ouais, bonne idée ! »

 

(Le vieux monsieur tout chauve et tout petit en culottes courtes) « Ah mais non ! Moi j’étais en premier sur la nouvelle liste. »

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Maschere »©Annamaria Mazza, 2015.

 

(L’original, pour les italianisants)

 

Verso le 8.50 della mattina, mi metto sulla lista, ho il no 24. Arriva un gruppo di giapponesi che si arrabiano : c’era una lista previa, rubata da qualcuno. Wenzel, un tedesco ben organizzato, è in possesso d’una fotografia della prima lista: effetivamente, c’era un altra lista, lo dicono anche tutti gli altri, iscritti sulla prima lista, che poco a poco arrivano per « l’appello delle 09.00 ».

 

(Una signora) : « Io, quando sono passata verso l’una della mattina, la lista c’era ancora. »

 

(Un signore calvo vecchietto in pantaloni corti) « Questa lista nuova l’ho fatta io, quando sono arrivato stamattina, perchè non c’era lista, allora sono tornato in albergo per prendere la carta. »

 

(Qualcuno) « Secondo me, chi ha robato la lista previa si trova sulla nuova lista… »

 

(Wenzel, il Tedesco) « Ma io ho fatto una foto dell’altra lista. »

 

(Una piccola vecchia signora elegante con enormi occhiali rossi) « Mah, le foto non contano, si possono truccare. »

 

(Anna, capolista) « Facciamo l’appello. »

 

(Io, al vecchietto) « Ma Signore, c’è una fotografia della prima lista e anche una copia, eh. »

 

(Il Coro) « Il capolista è risponsabile della lista. »

 

(Anna, capolista) : « Ho il doppio della lista, quindi verifichiamo. »

 

(Il vecchio signore) « Ma come ? Se io sono venuto per fare la lista, anzi, sono in prima posizione, allora cosa succede ? Chi mi assicura che questa è la vera lista ? »

 

(Il Coro) « Ma insomma ! »

 

(Anna, la capolista) «  Facciamo l’appello di chi c’era sulla prima lista. »

 

(Il vecchietto) « Ma questo non conta ! »

 

(Il Coro)  « Ooooh… »

 

(Anna, la capolista) : « Senti Walter [un altro tedesco], leggi tu la lista per l’appello »

 

Walter comincia l’appello ma non sa leggere i nomi e non si sente, decido di dirli io.

 

Anna : « Bravo, Sergio ! »

 

Poi tutta una discussione del vecchietto che era venuto prima, ecc.

 

(Io) « Ma perchè non aggiungere la seconda lista al fine della prima? Problema risolto. »

 

(Il Coro) « Ehi, buona idea, ecc. »

 

(Il vecchietto) « Eh no ! perchè io c’ero prima sulla lista nuova. »


09/01/2016
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Pesaro (4) : l’opéra vu du poulailler ou Gloire et Misère du ‘loggione’.

En Italie, à l’opéra, le ‘loggione’, le poulailler, c’est sacré, c’est toute une institution, et, peut-être, une des institutions les plus démocratiques de ce pays où l’État et les citoyens ont fait un mariage de raison et font depuis toujours chambre à part.

 

D’abord parce que c’est le public du ‘loggione’ qui fait et défait les vedettes, quelques 'loggionisti' sont même payés par les vedettes.... À Milan, Maria Callas a dû les affronter ces ‘loggionisti’, qui faisaient la vie à cette grecque venant piquer les rôles de la grande Renata Tebaldi, alors reine incontestée de la Scala. C’est Callas qui l’a emporté avec panache. Roberto Alagna, en revanche, a déclaré forfait à deux reprises.

 

Et puis, pas de passe-droit pour le ‘loggione’, pas de privilège ou de priorité, impossible de réserver à l’avance : il faut être sur place et avoir du temps.

 

Que ce soit à la Scala de Milan, au Théâtre de Ravenne ou au Teatro Rossini de Pesaro, c’est traditionnellement à 00.01 heures du jour de la représentation de l’opéra que le ‘capolista’, le chef improvisé de la liste, le premier à arriver devant les portes du théâtre, colle soigneusement sur la porte du théâtre la liste d’inscription pour les places du ‘loggione’, en écrivant son nom au tout premier rang.

 

Les habitués le savent, et savent aussi que le rang dans la liste indiquera l’ordre d’entrée au ‘loggione’, et donc les meilleures places à choisir pour les premiers inscrits. On tâche d’être bien placé dans la liste.

 

Il faut ensuite se présenter en journée aux heures indiquées des divers pointages, par exemple à 9.00 du matin, puis à 15.30, une demi-heure avant l’ouverture des guichets. Le ‘capolista’ fait le dernier appel, et veille à ce que les futur(e)s ‘loggionisti se mettent en rang selon l’ordre de la liste pour ensuite payer leur billet (20 euros en général) au guichet. Malheur à qui n’est pas présent à l’appel, il perdra sa place, au grand contentement de ceux qui le suivent dans les rangs.

 

Une fois le billet en poche, on refait la même queue pour se préparer à accéder enfin au paradis. L’accès au ‘loggione’ ne se fait pas par la porte principale mais par une entrée latérale que des huissiers viennent ouvrir depuis l’intérieur quarante-cinq minutes avant la représentation.

 

Car être fondamentalement démocratique ne veut pas dire mélanger les torchons et les serviettes.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Piccolo teatro nomade »©Annamaria Mazza, 2015.


07/01/2016
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Pesaro (3) : Anna l’Italienne ou Les tas pontificaux.

Anna l’Italienne apprécie l’opéra en dilettante, elle en aime la distraction estivale (Pesaro est une petite ville de province).

 

Elle souligne que pendant longtemps Le Marche, la région, a été propriété des États Pontificaux, qui séparaient le Nord et le Sud de l’Italie, ce qui aurait eu l’effet de rendre les Pesaresi et les Marcheggiani plus coincés ou en tout cas plus timides et timorés.

 

Anna l’Italienne a rencontré Anna la Polonaise comme elle m’a rencontré : en août, au Festival Rossini de Pesaro, dans la file poireautant devant le Teatro Rossini pour obtenir une place au loggione à vingt euros.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).

 

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Illustration : « Desiderio »©Annamaria Mazza, 2015.


06/01/2016
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