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Janine Massard, une grande auteur suisse en 13 titres : 'Christine au dévaloir' (1981)

Dans ce magnifique premier recueil de nouvelles (L’Hiver de l’Épine Noire ; Nuit d’enfance ; Les Deux courbes ; L’Œillet à la boutonnière ; Suite sans fin ; Christine au dévaloir) on trouve déjà la patte de Janine Massard dans la façon gouailleuse dont s’expriment tous ses personnages, un superbe travail sur les registres. On y découvre certains thèmes récurrents que Janine Massard développera dans les œuvres suivantes, le fantastique (la mort qui arrive sans que la protagoniste s’en aperçoive, souvent incarnée par un personnage qu’elle est seule à percevoir, un thème qu’on retrouvera dans Trois mariages, par exemple), les petites villes ou les villages, les familles modestes, la pauvreté et la ségrégation sociale qu’on tente de fuir pour accéder à une vie meilleure, les femmes modestes et laissées pour compte qui s’affranchissent de leur condition et lancent leur rage et leur insolence au monde, comme l’adolescente à la dérive de L’Hiver de l’Épine Noire :

 

"Quand j’ai eu quatorze ans et que papa a voulu commencer à m’emmener dans des meetings prolos le soir, je lui ai refait le coup du boulot mais cette fois c’était le raccommodage. Et il y a cru parce que les hommes ne mettent jamais en doute les travaux du ménage. Ma mère, même complètement poivre, aurait compris que je trichais. Mais les bonshommes, du moment qu’ils ont décidé que les travaux du ménage c’est pas du travail, on peut les avoir comme on veut. Et maintenant vous comprenez enfin pourquoi la cause prolote et moi on s’ignore un peu. » Elle ajoute, un peu plus tard, quand on la place dans une institution spécialisée parce que son père est mort : « Et un jour, quand à force d’avoir étudié, je saurais parler et écrire comme eux, ce jour-là, je leur cracherai ma vérité et ils seront bien obligés de m’écouter parce que je parlerai avec les mêmes mots qu’eux."

 

Christine, la femme qui donne son prénom au recueil et qui écrit sa propre histoire, s’est aussi extraite de son milieu social. Elle a laissé derrière elle sa famille et n’en a pas créée de nouvelle pour ne pas revivre ce qu’elle détestait vivre :

 

"Longtemps, j’ai été réticente à l’amour, parce que, pour moi, cela débouchait fatalement sur la reproduction et ce grouillement de marmaille dans un espace restreint me rendait nerveuse. D’avoir toujours dû partager, de n’avoir jamais eu de coin à moi, même pas mon lit, m’avait rendu la solitude attirante comme un saphir et j’estimais que les hommes étaient tout juste bons à faire des enfants aux femmes. Bien sûr, j’avais entendu parler du plaisir ; je l’avais même découvert. Avec quelqu’un qui ne risquait pas de me faire un enfant : la secrétaire du patron. Elle était plutôt lourde, avec sa démarche de canard et ses hanches grasses, mais elle avait de beaux cheveux et des seins pommes très fermes que j’aimais bien caresser."

 

©Sergio Belluz, 2015.

 

1980 Janine Massard Christine au dévaloir.jpg

 

Janine Massard, une grande auteure suisse de langue française en 13 titres

Christine au dévaloir (Genève : Éliane Vernay, 1981)



03/07/2015
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