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* Baudelaire *


Baudelaire et Victor Hugo ou le Rêveur et le Phraseur

En ces temps où Victor Hugo est de nouveau à l’honneur pour cause d’incendie, il est bon de rappeler que le grand poète pouvait être assez casse-pieds, en particulier pour Baudelaire.

 

À Madame Paul Meurice, mercredi 24 mai 1865

 

« J’ai été contraint, il y a quelque temps, de dîner chez Madame Hugo ; ses deux fils m’ont vigoureusement sermonné, mais j’ai fait le bon enfant, moi, républicain avant eux, et je pensais en moi-même à une méchante gravure représentant Henri IV à quatre pattes, portant ses enfants sur son dos.

 

Madame Hugo m’a développé un plan majestueux d’éducation internationale (je crois que c’est une nouvelle toquade de ce grand parti qui a accepté l'entreprise du bonheur du genre humain).

 

Ne sachant pas parler facilement, à toute heure, surtout après dîner, surtout quand j'ai envie de rêver, j'ai eu toutes les peines du monde à lui expliquer qu'il y avait eu de grands hommes AVANT l'éducation internationale; et que, les enfants n'ayant pas d'autre but que de manger des gâteaux, de boire des liqueurs en cachette, et d'aller voir les filles, il n'y aurait pas plus de grands hommes APRES.

 

Heureusement pour moi, je passe pour fou, et on me doit de l'indulgence. (…)

 

Le célèbre XXX m'a fait, lui aussi, un sermon de deux heures (il croit que c’est là une conversation), à la fin duquel je lui ai simplement dit : Monsieur, vous sentez-vous assez fort pour aimer un merdeux qui ne pense pas comme vous ? 

 

Le pauvre innocent en a été suffoqué !.»

 

À Édouard Manet, samedi 28 octobre :

 

« Ce qu’il y a de bizarre dans mon cas (littéraire), c’est que l’on continue à demander mes livres dans les librairies, quoique je ne publie rien, et que je laisse s’écouler des années entre une édition et une autre.

 

Comme les hommes faits pour les affaires doivent me mépriser !

 

Et Victor Hugo ! Il ne peut se passer de moi, dites-vous. Il m’a un peu fait la cour. Mais il fait sa cour à tout le monde et traite de poète le dernier ou premier venu.

 

Hugo avait écrit sur le volume : à Charles Baudelaire, jungamus dextras.

 

Cela, je crois, ne veut pas dire seulement : donnons-nous une mutuelle poignée de mains.

 

Je connais les sous-entendus du latin de Victor Hugo. Cela veut dire aussi : unissons nos mains, POUR SAUVER LE GENRE HUMAIN.

 

Mais je me fous du genre humain, et il ne s’en est pas aperçu. »

 

Charles Baudelaire, Lettres 1841-1866, Paris : Mercure de France, 1906

 

 

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24/04/2019
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De la contrainte en art (02) : Baudelaire dixit

À Armand Fraisse, 19 février 1960

 

« ...Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense. Tout va bien au sonnet : la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique.

 

Il y a, là, la beauté du métal et du minéral bien travaillés.

 

Avez-vous observé qu’un morceau de ciel aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, donnait une idée plus profonde de l’infini que le grand panorama vu du haut d’une montagne ?...

 

Quant aux longs poèmes, nous savons ce qu’il en faut penser : c’est la ressource de ceux qui sont incapables d’en faire de courts.

 

Tout ce qui dépasse la longueur de l’attention que l’être humain peut prêter à la forme poétique n’est pas un poème. »

 

Charles Baudelaire, Lettres 1841-1866, Paris : Mercure de France, 1906

 

©Sergio Belluz, 2019, le journal vagabond (2018)

 

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24/04/2019
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