* à l'écoute *
Billie Holiday, le souffle court et l’âme avec
Blow, ill wind, blow away, let me rest today. You’re blowing me no good, no good, « Souffle, vent mauvais, souffle ailleurs, laisse-moi tranquille aujourd’hui. Tu ne me souffles rien de bon, rien de bon », me chante Billie Holiday.
La précision de la prononciation, sa manière lente de détacher chaque syllabe, chaque mot, chaque phrase qui, alors, se posent librement sur le tapis luxueux d’un piano et d'une guitare électrique, qui sonnent comme les pizzicati des violons rossiniens pendant l’air de la diva – mettons « Una voce poco fa » de la Rosina du Barbiere di Siviglia – un saxo venant ensuite remplacer la voix de Billie Holiday, suivi d’une trompette, avant qu’on ne revienne à la chanteuse.
Cette lenteur dans la manière de chanter les phrases est due aussi aux difficultés vocales de la chanteuse même, dont le souffle est court, très court.
Elle en fait une qualité, un style, privilégiant l’expression à la virtuosité, même si, tout compte fait, ce que Billie Holiday obtient de son souffle court est de la virtuosité, donnant force et magie à chaque strophe, à chaque sentiment, marquant chaque air de son style désabusé, unique et magistral.
Elle chante du bout des doigts.
©Sergio Belluz, 2021, le journal vagabond (2019).
Serge Gainsbourg, poète astucieux
Je suis sûr que ça échappe à tout le monde : on prend La Javanaise pour une simple chanson tendre, on n’en comprend pas bien le titre, on se contente d’aimer sans bien savoir pourquoi son voussoiement désuet et sa douce nostalgie.
Pourtant, La Javanaise est un exemple parfait de la virtuosité facétieuse de Gainsbourg.
L'idée lui en est venue à cause de ce qu'on appelle le javanais, une langue inventée.
Le Robert explique bien le truc:
Argot conventionnel consistant à intercaler dans les mots les syllabes va ou av. - 1. Argot (REM. 2). Exemple de javanais : chaussure = chavaussavurave
Cet un argot assez vieux puisque le Robert le fait remonter à: 1857, Esnault; p.-ê. d'après le présent de avoir : j'ai, j'avais, d'après 1. javanais (avec l'idée de langue exotique, incompréhensible).
Gainsbourg, amusé par la musique de ce jargon, dont il a dû se servir enfant avec ses camarades d’école, travaille à en rendre la sonorité dans sa chanson d’amour.
UNE CHANVASONVA VIVARTUVAOSAVE JAVANAISE
Ça donne ceci :
J'avoue, j’en ai bavé, pas vous ?
Mon amour
Avant d'avoir eu vent de vous,
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d'une chanson
A votre avis qu'avons-nous vu
De l'amour ?
De vous à moi vous m'avez eu,
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d'une chanson
Hélas avril en vain me voue
À l'amour
J'avais envie de voir en vous
Cet amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d'une chanson
La vie ne vaut d'être vécue
Sans amour
Mais c'est vous qui l'avez voulu,
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d'une chanson
UNE CHANSON MARQUÉE X
Dans une autre chanson, Comment te dire adieu, Gainsbourg – qui, systématiquement, demande à ses interprètes une diction précise et des consonnes très accentuées pour que le texte prenne le dessus (ce n’est pas pour rien qu’il aime faire chanter les actrices) – casse les mots pour faire rimer les vers sur -ex, comme -ex amour :
Sous aucun prétex-
te Je ne veux
Avoir de réflex-
es malheureux
Il faut que tu m' ex-
plique un peu mieux
Comment te dire adieu
Mon coeur de silex
Vite prend feu
Ton coeur de pyrex
Résiste au feu
Je suis bien perplexe
Je ne veux
Me résoudre aux adieux
Je sais bien qu'un ex
Amour n'as pas de chance ou si peu
Mais pour moi une ex-
plication vaudrait mieux
Sous aucun prétex-
te je ne veux
Devant toi surex-
poser mes yeux
Derrière un kleenex
Je saurais mieux
Comment te dire adieu
Tu a mis à l'index
Nos nuits blanches nos matins gris-bleu
Mais pour moi une ex-
plication voudrait mieux
Sous aucun prétex-
te je ne veux
Devant toi surex-
poser mes yeux
Derrière un kleenex
Je saurais mieux
Comment te dire adieu
Tout le charme de Gainsbourg est là, dans cette pudeur désinvolte, qui se joue de tout en un mélange sophistiqué et rieur de profondeur et de légèreté.
©Sergio Belluz, 2019, le journal vagabond (2017)
Paris en musique and all that Zaz.
À la FNAC, je suis tombé sur l’hommage à Paris de Zaz, avec Thomas Dutronc et Aznavour en gueststars.
Zaz revisite Sous le ciel de Paris, Paris Canaille, I Love Paris (de Cole Porter), Jolie Môme, J’ai deux amours, Les Champs-Elysées, etc, en version jazz-manouche, avec quelques incursions côté jazz tout court.
Sa voix enrouée, gouailleuse, va bien avec ce répertoire, même si je trouve que les arrangements de Quincy Jones sont un peu trop carrés, et la diction trop plan-plan.
C’est bien de revisiter le répertoire, mais pour le faire redécouvrir magnifiquement, comme le font les chanteurs de jazz avec les ‘standards’. Souvent, on se borne à réorchestrer sans grande imagination, on change de rythme, on chante en java ce qui était un slow, ou inversement, et ça n’a aucune sorte d’intérêt.
Mais le disque est plaisant, et j'ai une préférence pour l'enjoué Paris sera toujours Paris, dont le texte est dû au fin et drôlissime Albert Willemetz, auteur entre autres de 'Félicie aussi' et de 'Mon homme', une chanson que Zaz arrive à renouveler avec fraicheur et talent.
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).
Des fois, dérailler c'est bon.
Ce qui me frappe et me séduit toujours dans les enregistrements de bossa nova, et notamment chez ses plus célèbres interprètes, João Gilberto, Astrud Gilberto, Antonio Carlos Jobim, Elis Regina, Vinicius de Moraes, Chico Buarque et pleins d’autres, c’est le côté légèrement faux de certaines notes, juste un poil à côté, et ce n’est jamais gênant, au contraire : c’est sensuel, c’est charmant, et c’est totalement juste pour ce type de chant susurré, parlé, presque, dont seules les consonnes restent, accentuées mais légèrement, comme il sied à un aveu discret, une intimité dévoilée, une confidence souriante chuchotée à une oreille complice.
Des imprécisions sonores et humaines qui sont comme une pudeur courtoise, une négligence élégante et désinvolte qu’une plus grande précision trahirait.
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2016).