sergiobelluz

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* Max Frisch *


Frisch vs Dürrenmatt

Max Frisch n’est pas ce que j’appellerais, sans aucune connotation, un auteur populaire : sans être cérébral, l'extraordinaire théâtre de Frisch, qui interroge l'identité (des personnages, des pays) et les concepts moraux (qu'est-ce qu'un coupable? Qui juge?...) est plus intellectuel, plus difficile d'accès, moins « grand public », moins "scénique" peut-être, que celui de Dürrenmatt, qui sait utiliser certaines ficelles, certaines conventions du théâtre traditionnel, ce qui n'enlève rien à sa force et à son originalité.

 

Ceci explique peut-être pourquoi, plus que Frisch, Dürrenmatt continue a être aussi souvent joué et reste si populaire : La Vieille dame se porte comme un charme et rejoint, par son désir de vengeance plus que par son désir de justice, des mélodrames aussi populaires que Le Comte de Monte-Cristo, La Porteuse de pain et certaines telenovelas mexicaines ou brésiliennes dans lesquelles l’innocent cherche à prendre sa revanche et à faire payer ceux qui l’ont cruellement et injustement condamné.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2016).

 

 

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12/04/2016
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Max Frisch et la société du vide.

"Notre tourisme, notre télévision, nos changements de mode, notre alcoolisme, notre toxicomanie et notre sexisme, notre avidité de consommation sous un feu roulant de réclames, etc., témoignent de l’ennui gigantesque qui affecte notre société. Qu’est-ce qui nous a amenés là ? Une société qui, certes, produit de la mort comme jamais, mais de la mort sans transcendance, et sans transcendance il n’y a que le temps présent, ou plus précisément : l’instantanéité de notre existence, sous forme de vide avant la mort."

Max Frisch, 'Journal 1982-1983'

 

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18/11/2015
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Max Frisch et le mythe suisse

Fabuleux, le Max Frisch de Guillaume Tell pour les écoles (Héros-Limite, 2014), quel texte !

 

Mine de rien, Frisch, se basant sur les études historiques les plus pointues, démonte le mythe, avec sa plume sèche coutumière, et cette manière si personnelle de dépouiller les personnages de leur fausse identité en laissant leur vie « ouverte », en montrant qu’il y a plusieurs versions d’une vie selon la manière de la voir.

 

Le texte commence de manière typiquement frischienne (c’est moi qui souligne) : « Probablement [l’original doit être « wahrscheinlich »] Konrad von Tillendorf, un homme jeune et déjà ventripotent pour son âge, alors résident du château de Kyburg, ou peut-être un autre du nom de Grisler et exerçant les mêmes fonctions, en tout cas un chevalier sans goût pour le paysage, voyageait par une estivale journée de l’an 1291 dans la région dite aujourd’hui Suisse primitive. Probablement que le foehn soufflait » etc...

 

La structure du livre est aussi très originale : deux pages de la légende avec renvoi à des notes sur les deux pages suivantes, un jeu narratif sur la forme stylistique même du manuel scolaire, d’où le titre (en allemand : Wilhelm Tell für die Schule).

 

Ce texte, paru chez Suhrkamp à Francfort en 1970, puis à La Cité/L’Âge d’Homme en 1972 (pour Paris et la Suisse), a été superbement retraduit par Camille Lüscher et réédité chez Héros-Limite, grâce à un soutien de Pro Helvetia et de la Fondation suisse pour la culture, avec une préface, assez inutile et plutôt obscure de Bernard Comment.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2014).

 

Illustration : Konrad von Tillendorf, alias "Le Baron Gessler" à la sortie d'une discothèque de Kyburg.

 

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06/11/2015
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Max Frisch, sur l'émigration.

Un écrivain, un penseur, une conscience à la fois politique et sociale, dont on peut vraiment dire, sans cliché, qu'il a été, dans le sens quasi juridique, un « témoin de son temps ». Les services de renseignement suisses, toujours très bons juges en la matière, ne s'y sont pas trompés: il a eu droit à sa fiche, comme Dürrenmatt, pour ne pas faire de jaloux.

Lors de mon dernier séjour au Tessin, je suis allé à Berzona, pas très loin de Locarno, sur les traces de Max Frisch. Dans l'expo qui lui était consacrée, un très beau texte :

Das Emigrantische [...] äussert sich darin, dass wir nicht im Namen unserer Vaterländer sprechen können noch wollen; es äussert sich darin, dass wir unsere Wohsitze, ob wir sie wechseln oder nicht, überall in der heutigen Welt asl provisorisch empfinden. Wir können in München oder in Männedorf oder in Rom wohnen. Es sind Wohnsitze nach Wahl, oft nach Laune und Zufall der Bequemlichkeit, bestimmt vor allem durch einzelmenschliche Beziehungen. Wir stellen eine Bedingung: Unser Wohnort soll uns das unausgesprochene Gefühl der Unzugehörigkeit gestatten.

(Ma traduction) « Etre émigrant met en évidence le fait que nous ne voulons pas et ne pouvons pas parler au nom de nos patries ; cela met en évidence que nous percevons notre lieu de résidence, que nous en changions ou pas, quel que soit l’endroit du monde actuel, comme quelque chose de transitoire. Nous pourrions habiter à Munich ou à Männerdorf ou à Rome. Ce sont des résidences choisies souvent selon les circonstances ou les hasards du confort, mais surtout liés aux relations humaines. Nous n’y mettons qu’une condition : notre lieu de résidence doit nous permettre ce sentiment inexprimé de non-appartenance. »

 

Max Frisch, Emigranten (texte cité dans l’expo Frisch et Berzona à Loco, Tessin, 2012).

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2012).

 

 

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Max Frisch playing boccia at his house in Berzona, 1976. ©Robert Lebeck/Max Frisch-Archiv, Zurich.


07/05/2015
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