sergiobelluz

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* traduction/trahison *


Langu(ag)es et traduction

J’ai toujours trouvé que l'étude des différentes variantes d'un même texte dans les traductions littéraires est pleine d'enseignement : on se rend compte à quel point la traduction est importante, et combien elle peut fausser la perception d'une œuvre.

 

On a déjà des problèmes quand il s'agit d'une œuvre dans une langue proche et de même structure, alors quand il s’agit, par exemple, de traduire un poème du chinois vers le français ou le russe, on imagine le casse-tête.

 

On doit partir d’un ensemble d'idéogrammes, c’est à dire d'une réalité décrite visuellement, avec des dessins stylisés n'ayant aucun rapport avec la langue parlée – un idéogramme chinois ne donne pas d’indication sur comment se dit et se prononce le mot –  et transposer ça dans une langue écrite phonétique où chaque lettre et chaque groupe de lettre représentent un son spécifique.

 

Dans le cas plus proche de nous de traduction de poèmes du russe au français ou du français au russe, cela se complique par le fait qu'il s'agit de poésie, un langage codé qui fait référence au son – allitération, dissonance, rimes ou non rimes, rimes intérieures, etc. – et au sens – connotations, références, détournement, métaphore... –, ce qui est particulièrement difficile à traduire.

 

PRIMA LA MUSICA POI LE PAROLE ?

 

Vladimir Nabokov disait que pour traduire la poésie on avait l'option de tâcher de rendre le son, les rimes et les rythmes du poème en modifiant, dans la langue d'arrivée, le sens, pour conserver la mélodie, ou, sinon, de traduire le sens, mais en sacrifiant totalement toute cette partie importante qu'est justement la mélodie, la beauté du son qui fait la beauté du poème.

 

Traduire la prose est plus simple : on traduit un univers concret, et même si se perdent certains effets sonores, l'histoire reste lisible, même si on a souvent de gros problème de niveaux de langues.

 

J'ai la chance de pouvoir lire en pas mal de langues et je suis frappé de voir des traductions qui, certes, arrivent à retranscrire l'histoire, mais laissent complètement de côté les registres : certains auteurs, pour les définir au sein de leur roman, font parler leurs personnages de manière très marquée, avec vulgarité, ou avec un accent particulier selon leur provenance géographique et, volontairement ou pas, ce n’est pas forcément pris en ligne de compte dans la traduction

 

Je me souviens d'avoir lu Tonio Kröger de Thomas Mann en traduction française, et de m'être dit, déçu : Mais comment un livre aussi célèbre peut-il être aussi mal écrit ? Puis d’aller vérifier dans l’original allemand, évidemment magnifique.

 

HERCULE POIROT ET LA VIEILLE FILLE

 

Les romans d’Agatha Christie est un bon exemple de ce qu’une traduction dans une autre langue peut rater.

 

Adolescent, j’avais dévoré tous ses romans policiers en traduction française, j'adorais Hercule Poirot, son détective belge francophone, et Miss Marple, vieille fille sublime (et sagace) d’un village anglais idéal.

 

Ce n'est qu'en lisant les versions originales, bien plus tard, que je me suis rendu compte qu'en anglais Agatha Christie fait parler Hercule Poirot avec des structures françaises du style « He is not a nice person, this man » ce qui, à part sa célèbre moustache sculptée à la cire, en rajoute encore une couche dans le côté fatuité franchouillarde du personnage (un stéréotype historique qui fait toujours rire les anglophones).

 

De même, Miss Marple, en anglais, a la saveur d’une malicieuse old spinster observatrice, une quintessence de vieille fille de village anglais qui sait tout sur tout le monde grâce aux commérages après le culte au presbytère ou à l’heure du thé – on ne dira jamais assez l’utilité du five o’clock tea gossip dans les enquêtes pour meurtre – et elle s’exprime en conséquence, par des faussement naïfs « Oh dear, dear, dear, did I shock you? » ou des « Dear me, why don’t you wear sensible shoes ? ».

 

RIMBAUD ET DON QUICHOTTE

 

Je n'arrive pas à m'imaginer ce que Rimbaud peut donner en russe, par exemple le poème : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu , voyelles/Je dirai quelque jour vos naissances latentes, etc. », et non seulement à cause de l’alexandrin, ou de la sonorité et du rythme des mots, mais aussi par rapport à ce qui est lié, dans l’imaginaire d’une autre langue, aux couleurs évoquées par le poème.

 

Dans le cadre de la revue Mapalé, dont j’étais le rédacteur en chef pour l’Europe, j'ai eu l’occasion de faire une interview de l'écrivain argentin d'expression anglaise Alberto Manguel qui faisait remarquer combien les traductions de l'anglais à l'espagnol (et inversement) étaient difficiles étant donnés les univers linguistiques très différents (l'espagnol très verbeux et l'anglais très condensé, je résume). 

 

Il donnait notamment l'exemple de Moby Dick, de Whitman, qui commence par « Call me Ismael », qui est très difficile à traduire, en français : « Appelez-moi Ismael » induit à confusion.  L'original veut dire : « Mon prénom n'est pas forcément Ismael, mais vous pouvez m'appeler comme ça ».  En français, et en espagnol, c'est très dur de trouver un équivalent, on est obligé de contourner le problème à l’aide d’un : « Vous pouvez m'appeler Ismael » ou d’un « Mon nom pourrait être Ismael ».

 

De même pour Don Quijote.  En espagnol, le livre commence par le célèbre et ironique : « En un lugar de la Mancha cuyo nombre no quiero recordar » et veut dire, en gros, « Dans un endroit de la Mancha dont je ne veux pas me rappeler le nom » ou « dont je refuse de me rappeler le nom » ou encore « dont je préfère oublier le nom ».  Mais le français et l'anglais rendent difficilement la subtilité et l'humour de l'original. 

 

En anglais on est obligé d'écrire quelque chose comme: « In a certain place of la Mancha the name of which I do not want to remember », mais j'ai vérifié dans diverses éditions, il y a au moins cinq traductions différentes.  On est déjà obligé de mettre « certain », parce que « In a place of La Mancha » n'est pas possible en anglais.  Pour la suite, on trouve des « whose name I do not want to remember », mais « whose » ne va pas bien, qu'on utilise de préférence lorsqu’il s’agit d’un objet possédé par une personne – « The person whose bag I saw » –, et certains préfèrent utiliser « recall » plutôt que « remember »...

 

LES FAUX-AMIS DE MES FAUX-AMIS SONT MES ENNEMIS

 

Les faux-amis sont la plaie du traducteur, car souvent les langues s'entrecroisent, et on ne sait plus très bien ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas.

 

C'est encore plus grave dans les mots qui se ressemblent en ayant toutefois un sens différent d'une langue à l'autre (comme deception/disappointment et tromperie/déception en anglais et français).


Pour des langues comme le russe, dont la plasticité est proverbiale, et qui a engrangé énormément de mots étrangers au gré des influences historiques et culturelles dominantes – français, allemand, anglais –, ça m’a toujours amusé d’entendre des « Katastrof ! » ou des « Kashmar, kashmar ! » (cauchemar) utilisés couramment.


D'où une difficulté encore accrue pour le traducteur : à partir de quand un mot « étranger » est-il complètement acclimaté dans une autre langue ? Est-ce qu’on peut l’utiliser dans une traduction, et dans quel registre ? Par exemple, si je suis Américain et que je veux traduire « parking lot » en français, je suis obligé de prendre le mot français « parking » sans être certain de faire juste, puisque ce mot n’existe pas en anglais.

 

DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE

 

En somme, pour bien connaître une langue et bien la restituer dans une autre langue, outre le vocabulaire et la grammaire, une connaissance approfondie des usages et des registres – langage parlé, langage écrit, langage des médias, langage des ados, langage des cadres, langage des politiciens, langage de l’administration, langage technique... – est un élément essentiel de toute traduction.

 

Et il y faut aussi de l’oreille, parce que les langues, même écrites, transcrivent des sons parlés et qu’on doit tenir compte de ça dans la traduction, pour éviter des pataquès sonores . Je me souviens qu’aux États-Unis, dans le cadre d’un cours de français, on m’avait demandé quels films américains avaient eu du succès en Europe.

 

On était dans les années 80, je parlais des Dents de la mer, de Spielberg, dont le titre français les avait déjà fait beaucoup rire – an anglais, ces « Sea Teeths » rendent de manière hilarante le Jaws (mâchoires) de départ –  et c’est juste après où, sans réfléchir, je traduisais en français le titre du deuxième épisode, Jaws II, en un précis Les Dents de la mer II que j’ai éclaté de rire. Inutile de dire que les étudiants, attentifs cette fois-ci, ont exigé de moi une explication qui les a enchantés.

 

Chaque langue a une musique, une logique, des constructions et des structures particulières. Quand je travaille sur une traduction, je fais toujours une première version précise, scrupuleuse des mots et du sens du texte original sans me préoccuper de la lourdeur du résultat.

 

Ce n’est que dans un second temps que je fais alors complètement abstraction du texte de départ, pour retravailler la traduction et la rendre la plus naturelle possible dans la langue d’arrivée tout en tâchant de préserver – de recréer ? –  le sens, le style, l’humour, les registres et les particularités de l’original. 

 

Du vocabulaire, de la grammaire, de l’oreille, de l’intuition et un zeste de magie : en traduction, tout est dans le chapeau, celui du magicien d'où l’on extrait lapins, foulards, colombes et perles rares.


©Sergio Belluz, 2019, le journal vagabond (2018)

 

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Le drogman (l'interprète ottoman) par François Mulard (1807)

 

Le titre turc de cette fonction vient de l'arabe tourdjoumân qui a donné le mot français 'truchement'


02/11/2019
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Linguistique de la langue ou linguistique de la communication ?

LES NOUVEAUX MÉDIAS

 

Le XXe siècle est caractérisé par la création et le développement extraordinaire des médias et des moyens de communication. Cette révolution médiatique est comparable à la création du papier en Chine et à l’invention de la presse par Gutenberg en Europe, car là aussi, ce fut une accélération de la communication qui s’ensuivit, à cette différence près qu’alors ces changements touchèrent l’écrit, perpétuèrent la culture écrite.

 

Les médias du XXe siècle modifient notre conception de la culture et de la langue en général. Celle-ci n’est plus comprise comme scindée entre l’écrit et l’oral, mais comme un tout, car si la radio et la télévision privilégient l’oral, elles se basent sur des écrits pour le faire.

 

GRAMMAIRES NORMATIVES

 

Des siècles durant, la langue n’était considérée et étudiée que par rapport à l’écrit : ce furent des grammaires qui se contentaient de donner des règles, de dire ce qui était juste et ce qui était faux. C’était une démarche normative, basée sur des dogmes grammaticaux desquels il ne fallait pas s’écarter et qui se basaient sur des données écrites et quasiment immuables car fondées sur la structure des langues classiques.

 

Nous en avons un exemple avec la 'Grammaire générale et raisonnée', dite grammaire de Port-Royal, datant du XVIIe siècle, qui se proposait de présenter « les fondements de l’art de parler, expliqués de façon claire et naturelle » où, à côté de la grammaire on trouvait l’origine des mots communs à plusieurs langues, accompagnée de réflexions sur l’histoire des mots et leur formation, ce qui n’avait jamais été fait auparavant. A partir de là, et jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’étude de la langue consistait d’abord en règles grammaticales, issues du grec et du latin, et juxtaposées sur les langues modernes, en philologie (le sens des mots) et en étymologie (leur histoire).

 

FERDINAND DE SAUSSURE ET LA LINGUISTIQUE

 

Saussure, au début du XXe siècle remarqua combien cette méthode était restrictive : elle ne tenait en compte ni la langue dans son ensemble, car les règles qu’elle édictait tiraient leur essence des classiques et donc de l’écrit ; elle restreignait le champ d’étude à l’histoire des mots, à leur emploi et leur sens ; enfin, elle n’observait pas la langue en tant que phénomène mais la considérait comme une liste de mots correspondant à autant de choses.

 

C’est pourquoi il voulut ramener « l’église au milieu du village » : étudier la langue comme on étudie un phénomène physique ou chimique, créer une science qui, au contraire des démarches précédentes, partirait de l’observation, c'est-à-dire qu’elle aurait un point de vue inductif sur la langue. De là les trois tâches que la linguistique de Saussure s’imposera :

 

  1. Description de toutes les langues (linguistique synchronique)
  2. Histoire de chaque langue et, à l’aide de comparaisons, de chaque famille de langues (linguistique diachronique)
  3. Tenter de dégager des règles qui commandent en général le système et l’histoire des langues, bref trouver des principes universaux aux langues (linguistique générale)

 

De plus, Saussure insista sur le fait que le domaine de la linguistique n’était pas la parole, qui est un acte individuel, mais la langue, qui est la somme de tous les actes individuels, qui est un modèle collectif.

 

La linguistique sera, alors, selon Saussure, l’étude scientifique de la langue dans son système, dans ses structures et la recherche des lois générales gouvernant ces structures.

 

LA GRAMMAIRE STRUCTURALE

 

Ce fut le premier stade de la linguistique ; le second fut l’édification d’une grammaire basée sur les observations scientifiques des linguistes. Cette grammaire structurale (parce qu’elle se basait sur l’étude scientifique des structures de la langue) avait pour technique :

 

  1. Le découpage de la langue
  2. L’inventaire de ce qu’on a découpé
  3. Son classement et une description du système (et non une explication, au contraire des grammaires traditionnelles).

C’est le linguiste américain Broomfield qui en est à l’origine : il posa d’abord que l’unité la plus grande de la langue est la phrase (qui se distingue de l’énoncé, parce qu’elle est « dans le vide », qu’elle n’appartient à personne). Il étudia donc la phrase dans sa position (disposition, comment sont disposés les mots), sa fonction (sujet, prédicat) et sa classe (noms, verbes) afin de déterminer une règle générale des phrases, une grille neutre à appliquer à toutes les langues.

 

Une des autres grammaires structurales est la tagmémique de Pike, qui a pour objet d’intégrer le comportement verbal et non verbal (les gestes, les mimiques, etc.) dans l’étude de la langue – on voit déjà le pas franchit entre l’étude de la langue proprement dite et, ici, la prise en compte des gestes qui accompagnent la langue, qui lui sont un complément.

 

En effet, Pike, auteur du 'Language in Relation to an Unified Theory of the Structure of Human Behavior', avait axé sa théorie sur l’étude du mixteco, une langue purement orale qu’il avait dû apprendre. Non seulement il observa ce qu’il pouvait de cette langue, mais il inclut le comportement verbal dans l’ensemble du comportement humain et définira le tagmème, ce tout qui comprend le verbal et le non verbal ; car lorsqu’on appelle quelqu’un, on peut le faire par la parole (« viens ») ou par un geste du doigt ou, le plus souvent, par les deux à la fois – la grille générale que les linguistes recherchaient ne suffisait donc pas et Pike affirmera qu’il serait illusoire d’en chercher une applicable à toutes les langues et proposa à la place deux étapes, l’une subjective – l’étape étique, c'est-à-dire  « externe » – sera de faire des comparaisons depuis l’extérieur entre sa propre langue et celle étudiée (ce qui remit en cause l’idée qu’il fallait étudier la langue par elle-même, et est déjà une fissure dans la conception saussurienne de la langue), l’autre, objective – l’étape émique, c'est-à-dire « interne » – sera , par approximation, de décrire de l’intérieur le nouveau système de la langue étudiée [étique – point de vue « externe », émique, point de vue interne, cf. l’opposition phonetics – phonétique/phonemics – phonologie] .

 

Nous sommes encore, là, dans une vue structuraliste de la langue : il s’agit toujours de l’étude de la langue fondée sur l’observation et la classification des faits.

 

LA GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE DE NOAM CHOMSKY

 

La grammaire générative et transformationnelle du linguiste Noam Chomsky va concevoir la linguistique différemment : elle va donner la primauté à des modèles théoriques à partir desquels les éléments sont interprétés, ce qui fut considéré par beaucoup comme un retour à la grammaire générale du type de celle de Port-Royal, c'est-à-dire qui interpréterait la langue à partir de grilles préétablies. En fait, si cette grammaire se nomme générative, c’est qu’elle s’éloigne de la simple observation de la langue pour rendre compte, à partir de schémas (les modèles de Chomsky) de l’aspect créateur du langage, de la compétence que nous avons tous de re-créer le langage.

 

Cette compétence (c'est-à-dire le système de règles, ce savoir implicite déposé dans notre cerveau et qui comprend le sens et les sons, ainsi que la grammaire) va nous permettre de passer à la performance, c'est-à-dire à l’utilisation de cette compétence. Chomsky rejoint ici la division que faisait Saussure entre la langue (qui est l’ensemble des actes locutoires individuels) et la parole (qui est un acte individuel). On touche déjà à la communication…

 

En effet, la grammaire générative, en étudiant les phrases de façon isolée (ce qu’on lui reprochera) va tenter de mieux expliquer ce qu’est une phrase, elle va y chercher les catégories grammaticales, les fonctions grammaticales, elle va donner le rapport entre les phrases, par exemple entre une phrase active et une phrase passive (la grammaire structurale se bornait à la présenter – la grammaire générative l’explique), elle va montrer les ambiguïtés, expliquer les relations de sélection (certains verbes, par exemple, qui font une contrainte sur l’objet) et va tenter de démontrer le rapport entre la sémantique et la grammaire.

 

Cette étude de la syntaxe (plutôt que de la langue en général) est quelque peu en opposition avec le structuralisme : là où ce dernier soulignait la spécificité de chaque langue, séparait la langue maternelle d’une autre langue, considérait chaque langue dans son ensemble, séparée des autres, la grammaire générative, au contraire, tentera de situer les points de jonction entre les langues, cette structure profonde qu’on retrouve dans toutes les langues et dont Chomsky dit qu’elle se situe dans la syntaxe.

 

ROMAN JAKOBSON ET SON SCHÉMA DE LA COMMUNICATION

 

La grammaire générative de Noam Chomsky n’avait pour sujet d’étude que les phrases hors contexte et les règles de syntaxe. Or Roman Jakobson, dans son fameux schéma, avait déjà tenté de définir l’ensemble de la communication en 6 fonctions :

 

  1. La fonction expressive : celle de l’émetteur, sa subjectivité, son emploi du « je », etc.
  2. La fonction conative ou appellative : les impératifs, les vocatifs, les interrogations qui impliquent le récepteur.
  3. La fonction référentielle : la fonction la plus importante, qui comprend tous les textes à sens, la référence à un objet extra-linguistique.
  4. La fonction métalinguistique : qui a pour propos de parler du code, telle que la critique littéraire ou les grammaires.
  5. La fonction poétique : l’ensemble d’infractions aux règles habituelles, les opérations visant la forme du message.
  6. La fonction phatique : les discours qui ne renvoie qu’à eux-mêmes, qui servent au contact.

 

HYMES ET LA GRAMMAIRE PRAGMATIQUE

 

Savoir une langue, c’est aussi connaître ses règles d’usage. C’est ce que tentera de démontrer la grammaire pragmatique du linguiste Hymes.  Il nota que les linguistes ne traitaient pas les phrases parlées ; or parler, c’est effectuer un acte de communication. C’est pourquoi la grammaire pragmatique tentera de donner des règles générales pour faire des phrases, mais aussi pour appliquer ces règles à la communication, ce qui étendra son étude à la compétence du locuteur et à la parole, à son acte locutoire individuel et à la communication en général.

 

Cette grammaire montrera que parler c’est agir et soulignera, dans le discours, la relation entre le « dire » et le « faire » - cette mise en évidence de la communication impliquera alors une théorie de ce qu’elle est.

 

LA LINGUISTIQUE? QUELLE LINGUISTIQUE?

 

la linguistique est passée de l’étude scientifique de la langue (Saussure) à la mise sur pied, par l’observation, de règles générales (grammaire structurale) pour ensuite s’attacher à une théorie syntaxique universelle où la compétence du locuteur était mise en évidence, bien qu’elle ne fût pas au centre des recherches de la grammaire générative ; puis, la linguistique réintégra la parole dans l’étude de la langue et de la communication (grammaire pragmatique) pour insérer cette parole dans une théorie globale de la communication.

 

S’étant étendue jusqu’à l’étude de la communication, la linguistique se trouve aujourd’hui à un carrefour : car la communication, si elle découle en partie de la langue, touche aussi à des domaines aussi variés que la psychologie, l’ethnologie, l’histoire, la politique, la philosophie, la sociologie et, depuis la révolution informatique, à tout ce qui touche l’intelligence artificielle. Elle doit à nouveau se définir et définir son champ d’étude, sous peine de se marginaliser. De là, sans doute, ses multiples ramifications (psycholinguistique, sociolinguistique, phonétique, phonologie, sémiologie, etc.) et, peut-être, la stagnation de ses progrès.

 

©Sergio Belluz, 2017

 

BIBLIOGRAPHIE

 

La linguistique, Jean Perrot, Que Sais-je? No 570, Ed. PUF, Paris, 1983

 

Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure, présenté par Eddy Roulet, Ed. Hatier, Paris, 1975

 

Dictionnaire des Œuvres Laffont-Bompiani, Ed. Laffont, Paris, 1968.

 

Encyclopediae Universalis, article « Linguistique ».

 

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06/09/2017
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Quand l'Orient modernisait l'Occident

ORIENT ET OCCIDENT

 

C'est pendant la période des Croisades que la lutte contre l’Infidèle devient l’idéal chevaleresque. Les Musulmans sont considérés comme païens. Pourtant, en parallèle, les échanges commerciaux et intellectuels (officiels ou officieux) sont nombreux: l'embargo du Pape sur les marchandises à destination du monde musulman créa, par contrecoup, tout un système de contrebande, et de grands intellectuels comme Abélard n'étaient pas tous d'accord avec le dogme en vigueur...

 

Au XIIe siècle, au plus fort des Croisades,  la science arabe déferle sur la Chrétienté.  Les Arabes apportent aux Chrétiens la science grecque thésaurisée dans les bibliothèques orientales, celle d’Alexandrie, en particulier, la plus grande du monde antique. Les savants musulmans la font parvenir en Espagne. La science musulmane devient à la mode et certains scientifiques chrétiens, comme Adélard de Bath (1080-1152), vont même jusqu'à attribuer leurs idées personnelles aux Arabes afin de les faire connaître.

 

La propagation de la culture islamique en Europe se fait par les contacts commerciaux et grâce à la présence politique des Arabes en Espagne et en Sicile. Ce que les Arabes apportèrent à l’Europe occidentale concerne surtout le raffinement des mœurs et l’amélioration de la vie matérielle.

 

De plus, la connaissance du style raffiné de vie des Arabes et  de leur littérature stimula l’imagination de l’Europe, en particulier dans les langues romanes.

 

TECHNIQUES MARITIMES

 

Les Arabes seraient peut-être les inventeurs de la boussole. Ils avaient déjà une cartographie importante. L’influence arabe en matière maritime se traduit par un vocabulaire présent dans toutes les langues européennes : amiral [de l'arabe 'amir «chef», et (p.-ê.) al-eali «très grand»], câble, chaloupe ou sloop, barque, mousson [de l’arabe mawsim, «saison, époque fixée», puis «époque favorable pour le voyage des Indes» (concernant l'océan Indien).]

 

AGRICULTURE ET IRRIGATION, ÉLEVAGE ALIMENTATION ET EXPLOITATION MINIÈRE

 

Comme il existait une agriculture relativement prospère dans la plupart des pays de l’Islam où c'était possible, les Arabes élevèrent considérablement le niveau de l’exploitation agricole dans un pays comme l’Espagne, où les pluies ne sont pas abondantes.

 

Si les Romains et les Wisigoths avaient organisé l’irrigation, les Arabes l’améliorèrent et en développèrent l’usage en fonction des connaissances acquises au Moyen-Orient sur les façons de conserver et de distribuer l’eau. Nous en avons pour preuve l’existence de nombreux mots espagnols courants d’origine arabe qui concernent l’irrigation :

 

Acequia

Canal d’irrigation

Alameda

Allée de peupliers

Alazán

Alezan

Albaricoque

Abricot

Alberca

Bassin artificiel

Albufera

Lagune

Alcacel ou Alcacer

Orge

Alcachofa

Artichaux

Alcaparra

Câpre

Alcohol

Alcool

Alcuzcuz

Couscous

Alforfón

Sarrazin, blé noir

Aljibe

Citerne

Noria

Noria (roue hydraulique)

Alcantarilla

Bouche d’égoût

Atarjea

Conduite d’eau, égoût

 

Les Arabes introduisirent également la canne à sucre [azúcar, de l'arabe sukkar, d'une langue indienne (sanscrit çarkara), «grain», d'où vient le lat. saccharum ]; .le riz [arroz, du grec oruza, d'orig. orientale], les oranges [naranja, de l’arabe narandj «orange amère», du persan], les citrons, les aubergines [berenjena, de l’arabe 'al-badindjan], les artichauts [alcachofa, de l’arabe harsaf ou harsuf], les abricots [albaricoque, de l’arabe d'Espagne al-barquq] et le coton [algodón, de l’arabe qutun] – tous ces mots français sont des adaptations des mots espagnols eux-mêmes adaptés de l’arabe.

 

Ils développèrent l’exploitation minière en Espagne : fer, cuivre, cinabre (Sulfure de mercure (Hg S) de couleur rouge, d’où l’on tire ce métal), or, argent, plomb, étain et pierres précieuses.

 

Ils firent également, en botanique, zoologie et minéralogie une large description et un inventaire des plantes, des animaux et des pierres connues.

 

LES ARTS D'AGRÉMENT ET DE LUXE

 

Les Arabes accédèrent à un raffinement extraordinaire de leur style de vie, et c’est pourquoi naquit dans l’Espagne musulmane l’industrie des produits de luxe : étoffes de laine, toiles de fil ou soieries dont on a conservé quelques rares spécimens. On pouvait également se procurer en Espagne des fourrures pour orner ou fabriquer des vêtements. Le lexique espagnol s’est enrichi de terminologie liée à ces techniques : alfiler (aiguille), alfombra (tapis), albornoz (burnou arabe, ou peignoir), algodón (coton)…

 

L’industrie de la céramique était très développée. Des techniques comme celle de la décoration des carreaux de faïence (azulejos) furent importées d’Orient. Le secret de la fabrication du cristal fut découvert à Cordoue dans la seconde moitié du IXe siècle. Au Xe siècle, Cordoue était devenue la rivale de Byzance dans l’art de l’orfèvrerie d’or et d’argent et de la joaillerie (alhaja, bijou, perle ; aljófar, perle …)

 

L'ARCHITECTURE

 

Ce luxe pouvait se voir également dans l’architecture dite « mauresque », dont la caractéristique est l’arc en forme de fer à cheval.  De nouveau, le lexique architectural espagnol trahit l’influence arabe :

 

Álabe

Aube (de roue hydraulique)

Alacena

Placard

Alambrada

Barbelés, grillage

Alarife

Maçon

Albañal

Egoût

Albañil

Maçon

Albarrana

Tour flanquante

Alcazaba

Forteresse

Alcazar

Palais royal, forteresse

Alcoba

Chambre à coucher

Azulejo

Carreau de faïence

Azotea

Terrasse

Baldosa

Carreau, dalle (sol)

Zaguán

Vestibule

Aldaba

Heurtoir de porte

Alféizar

Tablette extérieure ou rebord intérieur de fenêtre

Falleba

Espagnolette (« loquet de fenêtre »)

 

LA MUSIQUE

 

Les Arabes inventèrent et perfectionnèrent plusieurs instruments de musique : le luth (laúd, l’oud arabe, de al-‘ûd), la pandore [instrument de musique à cordes pincées, de la famille du luth, qui était en usage aux XVIe et XVIIe siècles], le psaltérion [ancien instrument de musique à cordes pincées ou grattées, à caisse de résonance plate, de forme triangulaire ou trapézoïdale. Le psaltérion était en usage chez les Hébreux, en Grèce, dans l’Europe médiévale], la flûte, les tambours [du persan tabîr, avec influence de l’arabe tunbur, tanbur, nom d’un instrument de musique à cordes] et les tambourins.

 

Beaucoup de livres en arabe ont été écrits sur la théorie musicale, certains inspirés des écrivains grecs.

 

LES LIVRES

 

Le monde arabe connaissait l’usage familier du livre, qui fut facilitée par l’usage du papier, inventé en Chine, mais transmis aux Arabes qui le développèrent vers l’an 800. Ce fut par l’Espagne et la Sicile que l’usage du papier s’étendit à l’Europe occidentale, mais il n’y eut pas de fabriques de papier en Italie et en Allemagne avant le XIVe siècle.

 

L'ADMINISTRATION ET LA GESTION COMMERCIALE

 

Le vocabulaire espagnol possède un certain nombre de mots d’origine arabe pour désigner l’administration municipale et le contrôle des activités commerciales.

 

Albacea

Exécuteur testamentaire

Albarán

Bulletin de livraison, reçu

Alcabala

Impôt ancien

Alcahuete

Entremetteur

Alcaide

Geôlier

Alcaldada

Abus de pouvoir

Alcalde

Le maire

Alguacil

Gendarme

Almacén

Le magasin

Aduana

La douane

Almoneda

Vente aux enchères

 

SCIENCES ET PHILOSOPHIE

 

Les Arabes traduisirent beaucoup d’ouvrages grecs concernant la philosophie et les sciences, mais ils apportèrent également de nombreuses améliorations : toutes ces découvertes se propagèrent dans l’Europe entière à partir de l’Espagne.

 

MATHÉMATIQUES ET ASTRONOMIE

 

En mathématiques, al-Hwarizmi, était connu des savants latins sous le nom d’Algorimus ou alghoarismus [il a donné son nom à l’algorithme. De plus, le terme « algèbre » vient de l'arabe al-djabr «contrainte, réduction», qui figurait dans le titre d'un ouvrage du même Al-Khawarizmi, IXe.].

 

Ce savant rédigea une forme abrégée de certaines tables d’astronomie indiennes. Il est l’auteur d’une description des parties habitées de la Terre, fondée sur la Géographie de Ptolémée. Il écrivit également des ouvrages sur les mathématiques, dont l’un peut être considéré comme la base de l’algèbre, et l’autre le premier ouvrage d’arithmétique utilisant le système décimal actuel, c’est-à-dire utilisant les chiffres dits arabes.

 

À partir d’al-Hwarizmi, les Arabes parvinrent à découvrir les méthodes pour effectuer des opérations mathématiques complexes (racine carrée). De même, on trouve le début des fractions décimales dans un ouvrage arabe de 950.

 

Un autre mathématicien arabe célèbre fut Ibn al-Haytam ou Alhazen, mort en 1039. Il traita entre autres d’équations (il en résolut une du 4ème degré). Il s’opposa à la théorie d’Euclide et de Ptolémée selon laquelle les rayons visuels se propagent de l’œil vers l’objet, et il maintint que la lumière se propageait au contraire de l’objet vers l’œil.

 

Il travailla sur les miroirs paraboliques et sphériques, ainsi que sur la réfraction de la lumière passant à travers un milieu transparent : il put ainsi calculer la hauteur de l’atmosphère terrestre et fut sur le point de découvrir le principe des lentilles grossissantes.

 

Les Arabes furent particulièrement brillants dans la discipline de la trigonométrie sphérique.

 

L’astronomie offrait un intérêt pratique, d’abord parce qu’on avait une grande croyance en l’astrologie, mais également parce qu’elle était nécessaire pour connaître la direction de la Mecque, vers laquelle les musulmans doivent se tourner pour la prière.

 

Les astronomes arabes, conformément à la théorie de Ptolémée, pensaient que la terre était immobile et qu’autour d’elle tournaient 8 sphères, portant le soleil, la lune, les cinq planètes et les étoiles immobiles.

 

MÉDECINE

 

Chez les Arabes, les bases de la médecine étaient principalement celles de l’enseignement des Grecs (Galien, Hippocrate).  Mais plusieurs musulmans (arabes et perses) arrivèrent à posséder si bien la science médicale qu’ils laissèrent loin derrière eux leurs prédécesseurs immédiats et réalisèrent des exploits.

 

  • Rhazes, né en 865 près de Téhéran, en Iran, écrivit plus de 50 ouvrages de médecine, dont le plus connu est un traité sur la rougeole et la variole. Il écrivit également un livre encyclopédique de toutes les connaissances médicales accumulées jusqu’à son époque. Pour chaque maladie, il donnait l’opinion des auteurs grecs, syriens, indiens, persans et arabes, puis il y ajoutait des notes sur les observations cliniques qu’il avait faites et tirait une conclusion.
  • Haly Abbas entreprit d’écrire une encyclopédie moins volumineuse. Son livre fut traduit en latin (Liber regius).
  • Avicenne, mort en 1037, écrivit un Canon de la médecine. Traduite en latin, son oeuvre domina l’enseignement de la médecine en Europe jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Dans l’Espagne mauresque, la chirurgie se développa. Les Arabes apportèrent les instruments chirurgicaux et écrivirent des traités sur la peste, dont ils rendirent parfaitement le caractère contagieux.

 

LES AUTRES SCIENCES

 

L’alchimie [de l’arabe al-kimiya' «pierre philosophale», passé aussi en esp. (mil. XIIIe), en catalan (R. Lull, 1295); le mot arabe vient, soit du copte chame «noir», d'où «Égyptien», ceux-ci étant renommés comme alchimistes, soit du grec tardif khêmia «magie noire», de même origine., soit du grec khumeia «mélange», de khumos «jus».]

 

Les Arabes firent une description exhaustive de l’alchimie en tant que science expérimentale, avec les différents instruments qu’elle emploie, les méthodes qu’elle suit pour le traitement des substances chimiques, et la théorie sur laquelle elle se fondait, qui dérivait de la science aristotélicienne.

 

On trouve aussi toute une littérature sur les méthodes à suivre pour la préparation de plusieurs substances et pour leur purification.

 

LOGIQUE ET MÉTAPHYSIQUE

 

Al-Farabi et Avicenne élaborèrent une philosophie qui était essentiellement une forme de néoplatonisme. Mais ils furent considérés comme des hérétiques, parce qu’ils croyaient en l’éternité de l’univers, ce qui était en contradiction avec le dogme de la création du monde ex nihilo dans le temps.

 

LE MONDE ARABE ET L'EUROPE: LES GRANDES DATES

 

BYZANCE  - CONSTANTINOPLE - ISTAMBOUL

 

284 – 285    Règne de l’empereur Dioclétien qui divise ses possessions en empire d’Orient et empire d’Occident.

 

312              Constantin vainc Maxence près de Rome et devient le maître de l’empire d’Occident.

 

324              Constantin triomphe de Licinius et règne dès lors sur tout l’empire romain.

 

325              Premier concile œcuménique de Nicée.

 

330              Byzance, appelée désormais Constantinople, est la nouvelle capitale impériale.

 

379              Théodose le Grand devient empereur.

 

410              Rome est pillée par les Wisigoths.

 

413              Constantinople assure sa défense par la construction d’une triple muraille.

 

476               Les Ostrogoths déposent Romulus Augustule, dernier empereur d’Occident.

 

529               Etablissement du code de Justinien qui régit le droit byzantin.

 

532               Hostile à Justinien, le peuple en émeute incendie une partie de la capitale

 

535 – 554     Conquêtes en Afrique du Nord, en Italie et en Espagne méridionale. L’empire byzantin atteint sa plus grande expansion.

 

628               L’empereur Héraclius vainc les Perses.

 

717 – 802      Règne des empereurs isauriens.

 

717                Léon III résiste au siège de Constantinople par les Arabes.

 

726 – 842      Querelle des iconoclastes : partisans et adversaires des images saintes s’affrontent violemment.

 

751                Chute de Ravenne et affaiblissement des positions byzantines en Italie.

 

867 – 1056     La dynastie macédonienne est au pouvoir.

 

907                 Constantinople résiste aux assauts arabes.

 

1014               Basile II vainc les Bulgares après une guerre de 27 ans.

 

1054               Rupture entre l’Eglise romaine et l’Eglise Byzantine.

 

1071               Les Turcs Seldjoukides triomphent des Byzantins à la bataille de Mantzikert.

 

1081 – 1185   La dynastie des Comnènes règne sur Constantinople.

 

1096               Première Croisade en Asie Mineure.

 

1204               Pillage de Constantinople par les Croisés.

 

1261 – 1453   La dernière dynastie, celle des Paléologues, préside aux destinées de l’empire.

 

1300               Les premières conquêtes turques affaiblissent l’empire.

 

1453               Prise de Constantinople par les Turcs de Mehmet II et fin de l’empire byzantin.

 

©Sergio Belluz, 2017

 

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06/09/2017
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My taylor is rich but my English is poor (Hercule Poirot).

Je me souviens de ma première lecture du merveilleux Tonio Kröger de Thomas Mann, dans une terrible traduction qui aplatissait tout, et notamment le côté fragile et passionnel du personnage, un texte que j'ai redécouvert et adoré plus tard en version originale.

 

Dans le cas de la littérature étrangère, c'est tout le problème de la traduction qui entre en ligne de compte, soit que la traductrice ou le traducteur ait su trouver des équivalences de registre dans la langue d'arrivée, soit qu'elle ou il ait su « recréer » le texte pour en rendre la teneur, soit que le texte d'arrivée soit meilleur que le texte de départ... Poe traduit ou plutôt adapté par Baudelaire, ce n'est plus vraiment Poe.

 

De même, il y a des langues cousines qui permettent de percevoir mieux l'original: les traductions en anglais des auteurs nordiques, par exemple, sont forcément plus fidèles, ou en tout cas plus proches, de l'original, car elles ont une même matrice. Il est plus facile de garder les rythmes internes à la phrase et une certaine syntaxe qui, traduits en français, vont devoir être transcrits et ne produiront pas forcément le même effet.

 

Prenons Agatha Christie et sa série de polars avec Hercule Poirot: la traduction française perd forcément les effets comiques et moqueurs créés par le fait que Poirot s'exprime en anglais avec une syntaxe française.

 

Très difficile aussi de rendre toute une partie de la littérature qui joue sur l'argot ou la langue populaire, par définition très liés à une langue et à un lieu, je pense au péruvien Jaime Bayly, une sorte de Beigbeder latinoaméricain, qui joue sur le vocabulaire branché de Lima, mais aussi à un auteur comme Elmore Leonard qui utilise de manière virtuose, en le retravaillant, le slang cool de Los Angeles.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2016).

 

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05/04/2016
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Francs parlers.

On vante souvent la subtilité des parlers locaux, patois, dialectes, langues régionales qu’une langue-mère, imposée depuis la métropole, voudrait écraser de sa fausse supériorité. Cette idée d’authenticité des parlers locaux qui seraient forcément plus riches, car liés à une histoire ancrée dans un territoire qui serait plus humain, plus proche de la réalité vécue 'historiquement' au quotidien, est très belle, mais me semble plus un préjugé qu'une réalité.

 

Littérairement, les parlers locaux sont souvent très conservateurs, peu flexibles et justement limités par leur trop grande adéquation à un petit territoire : on aura dix mots pour des nuances de brins d'herbes, mais un seul pour exprimer dix réalités plus abstraites qui s’exprimeront de manière plus complète, plus précise, plus nuancée dans une langue enrichie par un plus grand nombre de locuteurs de différentes régions de l'aire linguistique et de tous horizons, chacun  agrandissant la langue, sans compter l'apport étranger.

 

Et que dire des langues nationales exportées et qui ont magnifiquement pris ailleurs, les extraordinaires auteurs latino-américains, créoles ou africains d'expression française? Et des langues revivifiées, comme l’hébreu, le catalan ou le turc, les trois pour des raisons nationalistes, et qui se portent à merveille et produisent de magnifiques littératures ?

 

C’est peut-être et surtout la langue française, qui, par snobisme parisien, impose une langue ‘standard’ et centralise beaucoup, en effet, aujourd'hui comme hier, et on peut le regretter.

 

En revanche, en Italie, en Espagne, en Allemagne, les parlers locaux ont toujours côtoyé harmonieusement la langue dite 'nationale', dans une dynamique affectueuse.

 

Goldoni, dans ses comédies, joue constamment avec les différentes langues régionales, et donc les registres, les utilisant littérairement pour catégoriser un personnage ou un trait de caractère (ce qu'a toujours fait la Commedia dell'arte). Le sicilien Andrea Camilleri et le sarde Marcello Fois sont les héritiers directs de Gadda et de son Pasticciaccio brutto di via Merulana, premier polar italien à utiliser le dialecte, romain, en l'occurrence. Et n'oublions pas les fabuleuses comédies d'Eduardo de Filippo qui mêlent italien et napolitain, ou les oeuvres du grand Pasolini, dont la poésie et les romans de jeunesse utilisent le frioulan, alors que 'Ragazzi di vita' et sa trilogie romaine utilisent le parler des 'borgate romane', les HLM de l'époque, ou encore Fellini qui, à part son romagnol natal, s'amuse à créer de savoureux contrastes entre l'apparence de ses personnages et leur parler (milanais, romain, napolitain, vénitien).

 

En Espagne, un Vázquez Montalbán ou un Andreu Martin font se côtoyer castillan et expressions catalanes, et un Almodóvar utilise à fond la richesse des différents accents (andalou, gallègue, catalan, basque, madrilène).

 

Une langue ouverte sur le monde s’enrichit continuellement, elle bénéficie d’auteurs comme Casanova, Conrad, Ionesco, Cioran, Beckett, Nabokov ou Julien Green, de grands écrivains dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle, qu’ils ont dû acquérir et travailler, et qui ont su importer en elle ce petit quelque chose en plus qui vient d’ailleurs.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2016).

 

 

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16/03/2016
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De la traduction littéraire.

Nabokov disait que la poésie est intraduisible, soit qu'on traduit le sens, et alors la musique se perd, soit qu'on cherche des équivalences (de rythme, de prosodie, de rimes), mais alors on perd une partie du sens. C'est très vrai dans le cas de Pouchkine, considéré comme le plus grand poète russe, mais à qui aucune traduction en français n'a réussi, à ce jour, à rendre totalement justice.

 

Je me souviens de ma première lecture du merveilleux Tonio Kröger de Thomas Mann, dans une terrible traduction qui aplatissait tout, et notamment le côté fragile et passionnel du personnage, un texte que j'ai redécouvert et adoré plus tard en version originale. Dans le cas de la littérature étrangère, c'est tout le problème de la traduction qui entre en ligne de compte, soit que la traductrice ou le traducteur ait su trouver des équivalences de registre dans la langue d'arrivée, soit qu'elle ou il ait su « recréer » le texte pour en rendre la teneur, soit que le texte d'arrivée soit meilleur que le texte de départ... Poe traduit ou plutôt adapté par Baudelaire, ce n'est plus vraiment Poe.

 

De même, il y a des langues cousines qui permettent de percevoir mieux l'original: les traductions en anglais des auteurs nordiques, par exemple, sont forcément plus fidèles - ou en tout cas plus proches - de l'original, car elles ont une même matrice. Il est plus facile de garder les rythmes internes à la phrase et une certaine syntaxe qui, traduits en français, vont devoir être transcrits et ne produiront pas forcément le même effet. Agatha Christie et sa série avec Hercule Poirot en est un bon exemple : la traduction française perd forcément les effets comiques et moqueurs dûs au fait que Poirot s'exprime en anglais avec une syntaxe française.

 

Très difficile aussi de rendre toute une partie de la littérature qui joue sur l'argot ou la langue populaire, par définition très liés à une langue et à un lieu, je pense à un Jaime Bayly qui utilise le vocabulaire branché des beaux quartiers de Lima, mais aussi à un auteur comme Elmore Leonard qui joue énormément sur le slang.

 

Il n'en reste pas moins que le traducteur littéraire est absolument nécessaire et qu'il devrait être systématiquement mentionné dans les critiques des livres traduits, y compris quand il fait mal son travail.

 

On ne valorise jamais ce travail difficile et extraordinaire, souvent payé au lance-pierre et qui pourtant fait un travail de re-création du texte pour en rendre le meilleur dans la langue d'arrivée. En Espagne, dans les contrats, le traducteur devient co-auteur et a droit, à ce titre, à un copyright, et donc à un pourcentage fixe sur la vente du livre, ce qui n'est que justice!

 

Car le traducteur est un facteur-clé dans le passage d'une oeuvre, de ses registres, de ses tonalités, de sa voix, d'une langue et d'une culture à l'autre. Le traducteur est un passeur, à la fois linguiste et musicien, car tout texte est aussi musique, et allitérations, et associations d'idées, et jeux de mots, et sous-entendus, et allusions.

 

Pour donner un simple exemple, le Raskolnikov de Dostoïevski porte dans son nom l'exigence du Vieux-Croyant, ce qui donne une clé de son caractère et de son destin, qui se perd dans la traduction, sauf dans les langues cousines, peut-être.

 

On peut aussi traduire dans n'importe quelle langue 'les longs violons de l'automne' de Verlaine, mais si 'long' et 'violons' n'ont pas de consonnes similaires, la même consonne correspondant à l'article défini pour 'automne', on perd l'allitération, donc la mélodie. On peut trouver des équivalences, et en faire une magnifique traduction qui donne l'idée, mais est-ce encore Verlaine? C'est une évocation de Verlaine, et une nouvelle oeuvre, ce qui est bien, aussi.

 

Il me semble impossible de rendre la légèreté et la fantaisie de La Fontaine en russe, par exemple. je ne doute pas des capacités des traducteurs respectifs... mais est-ce toujours La Fontaine? Heureusement, l'écrivain russe Krylov a écrit ses propres Fables inspirées aussi d'Esope, donc une partie du travail est déjà fait.

 

Et La Fontaine, d'ailleurs? S'est-il inspiré d'une traduction d'Esope ou de l'original?

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2015).

 

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05/05/2015
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