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Daniele Finzi Pasca ou l’art des spectacles.

Un grand, un très très grand metteur en scène, Daniele Finzi Pasca, à la hauteur d’un Strehler, d’un Ponnelle, d’un Wilson, d’un Béjart, d'un Chéreau, d’un Porras, c’est ce qu’on se dit quand on assiste au prodigieux La Verità, le spectacle écrit et mis en scène par ce Tessinois de Lugano dont les créations parcourent le monde. La Verità, que j'ai eu l'occasion de voir au Théâtre Métropole à Lausanne en 2013 poursuit son parcours dans le monde entier (Canada, Uruguay, Brésil, Espagne, Hongrie, Danemark, Abou Dhabi, les Pays-Bas, le Mexique, et quelques villes de province) et a notamment été couronnée de succès à Paris où elle était à l’affiche du Théâtre des Folies-Bergère en 2015.


Le titre du spectacle, La Verità vient d’une note que Julie Hamelin, co-fondatrice de la Compagnie Finzi Pasca, avait rédigée en 2010 en vue d’un spectacle autour de l’acrobatie (« La vérité est tout ce qu’on a rêvé, qu’on a vécu, qu’on a inventé, tout ce qui fait partie de notre mémoire »). L’argument, lui, est basé sur Tristan Fou, un scénario que Salvador Dalí, s’inspirant de L’Amour Fou d’André Breton, avait voulu créer, mêlant Wagner, Nietzsche et la troupe héritière des Ballets russes, avec une chorégraphie de Leonide Massine et des costumes d’Elsa Schiaparelli, le tout sur un gigantesque rideau de scène peint par Dalí lui-même et représentant Tristan et Iseult.


Mais limiter la perspective de ce spectacle à ces seuls aspects serait le réduire à n’en retenir que le splendide décor et à n’en faire qu’un spectacle-concept avec acrobaties cérémonieuses genre Cirque du Soleil ou qu’une reconstitution subtile d’un spectacle historique monté avec difficulté à New York en 1944, alors qu’en réalité ce n’est que le prétexte pour un émouvant hommage aux arts scéniques, dans un univers visuel onirique, mélancolique, tendre, énergique, enfantin et drôle à la fois, où les textes de Daniele Finzi Pasca mêlés à la musique de la compositrice Maria Bonzanigo (un couple artistique à la Fellini/Rota), créent un univers extraordinaire d’intelligence et de beauté.


Et s’il fallait un terme pour décrire la magie de ce spectacle, et ce qu’il provoque chez le spectateur, c’est plutôt vers le coup de chapeau joyeux aux saltimbanques et vers la sublimation du music-hall chanté par Charles Trenet qu’il faudrait se tourner.


La référence n’a rien de fortuit, car, plus que Dalí, Wagner ou Nietzsche, ce qui défile sur scène, c’est tout ce que les arts scéniques parisiens de 1850 à 1950 ont pu produire de plus beau, de plus populaire et de plus humain à la fois : le cancan d’Offenbach (hommes et femmes tous en robes à froufrou), la danse avec gigantesques voiles de la Loïe Fuller, le couple de trapézistes éthérés qui balancent et s’entrelacent sensuellement au dessus de la scène et rappellent le travesti Barbette qui fascinait Cocteau, la musique jouée sur des verres diversement remplis, le contorsionniste qui se tord devant une femme-pantin articulée et mue par des marionnettistes tout en noir qu’on nous dévoile un instant en contrejour avant de les faire disparaître sur fond obscur, les jongleurs en tutus rouges et masques grotesques qui s’affrontent à coup de multitudes de balles blanches tournoyant autour d’eux, les voltigeurs et les équilibristes qui se meuvent autour et à l’intérieur de grands dispositifs (une énorme sphère tubulaire actionnée par les artistes, un triangle suspendu dans les airs où s’aime un couple d’équilibristes, trois échelles hélicoïdales en forme d’ADN, tournoyantes et hypnotiques où s’accrochent, montent et descendent des acrobates, des cerceaux qui parcourent la scène), les musiciens (pianiste, accordéoniste accompagnant la troupe qui chante), les clowns dans différentes accoutrements et avec divers accessoires (des lances qui apparaissent et disparaissent, des longues vues qu’on compare à des attributs plus ou moins puissants, des cactus sur lesquels on menace de s’asseoir…).


On alterne performance et sensualité, humour et rêve, musique triste et musique gaie, éclairages tamisés et éclairages ensoleillés. Il n’y a aucun temps mort, les transitions sont simples et sophistiquées à la fois – un rideau qu’un protagoniste tire sur toute la scène un peu avant la fin d’un numéro, une accordéoniste qui commence son morceau depuis la coulisse et qui s’avance pendant que les artistes présents se retirent, des clowns qui apparaissent et que la lumière accentue peu à peu pendant que la scène précédente s’estompe en arrière-plan, un piano qu’on amène vers la fin d’une scène et autour duquel se regroupent les artistes pour y chanter une chanson pendant qu’une femme descend du plafond tenue par un filin… – et les acrobates jouent, chantent, dansent et sont prodigieux de virtuosité et d’élégance à la fois.


Tout est intelligent, honnête, logique, juste, les changements se font à vue, les trucs sont dévoilés un instant, puis on laisse faire la fantaisie, la magie, l’humour, et le tout est mis en scène et chorégraphié au millimètre près par un artiste qui maîtrise tous les arts du spectacle, sans qu’on sente jamais le travail, comme un sourire et une politesse de plus au spectateur, qui passe tour à tour de la stupeur admirative à la rêverie et de l’émotion la plus forte au rire libérateur.

 

Une merveille.

 

©Sergio Belluz, 2018.

 

Pour toutes les productions de la Compagnie Finzi Pasca, vous trouverez plus de détails sur leur site :  http://finzipasca.com/fr/

 

02 Salvador Dalí Tristan et Iseult Rideau de scène.jpg

 

 

01 Daniele Finzi Pasca La Verità Le CanCan.jpg

 

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Illustrations :

- Salvador Dalí, Tristan et Iseut (rideau de scène)

- Affiche de La Verità

- Daniele Finzi Pasca (D.R.)



13/05/2015
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