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'Ricciardo e Zoraide' de Rossini: les Croisades incitent à l'amour!

Cette année, à Pesaro, dans le cadre du trente-neuvième  Rossini Opera Festival (le « ROF », pour les intimes), on fête à la fois les cent cinquante ans de la mort de Rossini à Paris, en 1868, et les deux cents ans de Ricciardo e Zoraide, un drame en deux actes, un opéra de 1818 composé par Rossini pour le Teatro San Carlo de Naples et dont le festival présente une nouvelle production.

 

À la première historique, c’était Isabella Colbran, la Colbran, la star de l’époque – et future épouse de Rossini – qui interprétait le rôle-titre de Zoraide.

 

L’histoire se passe au temps des Croisades : le roi nubien Agorante (ténor), marié à la reine Zomira (contralto), est tombé fou amoureux de sa captive, Zoraide (soprano), fille d’Ircano, un seigneur nubien rival du roi (basse).

 

La reine Zomira, l’épouse, est évidemment jalouse de cette Zoraide qui, elle, est secrètement amoureuse de Ricciardo (ténor) un Croisé.

 

C’EST COMME ‘AIDA’ MAIS ÇA FINIT BIEN

 

Les rapports de force ne sont pas sans rappeler Aida de Verdi (qui s’en est peut-être inspiré) : la reine jalouse fait condamner à mort sa rivale Zoraide, ainsi que ce Ricciardo venu se mettre dans la gueule du loup pour revoir sa bien-aimée...

 

La musique est magnifique, les pyrotechnies vocales sont à tomber de beauté et d’efficacité dramatique et c’est de nouveau fascinant de voir et d’entendre à quel point Rossini est original en tout, combien il innove techniquement à chacun de ses opéras : il avait vingt-six ans lors de la première de celui-ci, et déjà vingt-six opéras – un par année d’existence ! – à son actif, dont Tancredi et L’Italiana in Algeri (tous deux de 1813), Il Turco in Italia (1814), Il Barbiere di Siviglia (1816) et La Cenerentola (1817).

 

L’ouverture, la Sinfonia, contrairement à la plupart de ses opéras, commence par un tempo lent et mélancolique, avec les bois (flûtes, hautbois) qui donnent le ton, à quoi s’ajoute un effet d’écho avec un deuxième orchestre en coulisse qui répond à celui de la salle. Suivent alors, en alternance, plusieurs variations, des soli de flûte, de hautbois, de cor, sur fond de violons en arpège, comme des voix qui s’élèvent jusqu’au moment où Rossini accélère le tempo pour terminer l’ouverture en apothéose.

 

DE L'AIR - DES AIRS

 

Se succèdent ensuite toute une série d’airs virtuoses et de récitatifs accompagnés où toute l’emphase des personnages peut s’exprimer à coeur joie, à commencer par le premier air belliqueux du roi nubien Agorante, ‘Popoli della Nubia’, tout de force virile et d’agressivité vocale (magnifiquement interprété par le ténor Serguey Romanovsky), suivi par celui de sa prisonnière, la douce Zoraide, la soprano noire sud-africaine Pretty Yende, toute de majesté et de noblesse, tant dans sa tenue vocale que dans son jeu.

 

La jalousie meurtrière de sa rivale, la reine Zomira, est interprétée avec fougue par le contralto Victoria Yarovaya, qui sait donner à ce personnage toute la hargne passionnelle et meurtrière nécessaire, notamment dans ‘Più non sente quest’alma dolente’, un air rageur et victorieux d’une extraordinaire puissance haineuse dans des vocalises qui fouettent (musicalement) ses victimes à travers de vertigineuses vocalises parcourant tout le registre du plus grave au plus aigu.

 

Le personnage d’Ernesto, le conseiller de Ricciardo, le ténor Xabier Anduaga, est empreint de douceur et de profondeur, et la superstar de la soirée, le ténor Juan Diego Flórez, qui joue le jeune et beau Croisé Ricciardo du titre, interprète son ‘S’ella m’è ognor fedele’ avec toute la virtuosité et l’élégance qu’on lui connait, en dépit d’un timbre somme toute assez froid, mais qui est compensé par un jeu précis et tout ce qu’il faut de tendresse, de rallentandi aux bons moments, de contrastes de couleurs pour s’assurer un triomphe mérité, même si on sent bien que c’est la star internationale qu’on applaudit, alors que les autres ténors, et notamment le Russe Serguey Romanovsky et l’Espagnol Xabier Anduaga, ont des voix absolument extraordinaires d’ampleur et de virtuosité et des interprétations superlatives dans leur rôle respectif.

 

L’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI était dirigé de main de maestro par Giacomo Sagripanti et la mise en scène était due à Marshall Pynkoski.

 

CROISADES OU LAC DES CYGNES?

 

Justement, à propos de la mise en scène, rien ici d’inutilement extravagant ou de choquant, au contraire : l’utilisation de grandes toiles peintes en arrière-fond avec des effets de profondeurs, trois décors qui se succèdent, une tente de guerre, une muraille et la cellule d’une prison.

 

Les costumes, plutôt de style XVIIIe, et visuellement très étudiés dans leurs couleurs et leur symbolique – le noir pour la méchante reine, le doré pour la douce Zoraide, un gilet de faux métal à même la peau pour le beau roi nubien Agorante, dont on admire la plastique virile, l’élégance du Croisé Ricciardo, l’amant par excellence dans cette histoire – donnaient à la production son cachet de romantisme.

 

Toutefois, on se serait bien passé, dans les anachronismes inutiles cette fois, des différents ballets rajoutés sur les airs des choeurs : voir évoluer danseurs et danseuses classiques de style ‘Giselle’ dans cette ambiance guerrière des Croisades frise le ridicule et n’apporte pas grand-chose à l’ensemble.

 

TROIS TÉNORS, UNE SOPRANO, DES TAS DE POSSIBILITÉS

 

Ce qui m’a fasciné, c’est aussi la manière dont Rossini réussit à créer une oeuvre cohérente musicalement tout en devant composer – c’est le cas de le dire – avec trois ténors, tous des premiers rôles, et une seule basse, le père de Zoraide et rival du roi Agorante, interprété par le magnifique Nicola Ulivieri.

 

Cela ne gêne aucunement, parce que, loin des tenorini de ses opéras bouffes, les ténors des opere serie de Rossini n’ont rien d’éthéré ou de léger : la vocalise est affirmative, virile, variée et la virtuosité est au service de la caractérisation des personnages qui, littéralement, se gargarisent de leur importance.

 

De même, afin de multiplier les plaisirs et de laisser le spectateur en alerte, Rossini sait, dans sa manière de composer, et mieux que personne, créer des contrastes et varier les effets : un grand air de soliste va s’élever sur un simple fond de violons en arpèges, puis se terminer sur l’orchestre entier, ou va être entrecoupé d’interventions du choeur, les duos vont se moduler en soprano-ténor, soprano-contralto ou, dans ce cas précis, en duo ténor-ténor – Serguey Romanovsky et Juan Diego Flórez – exprimant chacun (mais en aparté) leur même passion pour la belle Zoraide en un duo d’amour si tendre qu’il en devient presque équivoque.

 

ENSEMBLE ET CHACUN POUR SOI

 

C’est d’ailleurs une des grandes spécificités techniques de l’opéra, impossible dans les autres formes artistiques, que chaque personnage puisse chanter et exprimer en parallèle, au même moment, des sentiments qui sont différents de ceux des autres protagonistes, et avec d’autres paroles, tout en restant dans l’harmonie générale.

 

Et puis, encore, ces extraordinaires trios, quatuors, quintettes, quelquefois a capella, comme suspendus sur le souffle entre deux scènes avec plein orchestre, tout l’art de ce compositeur qui maitrise à la perfection le contraste musical et dramatique.

 

Du grand art.

 

©Sergio Belluz, 2018, le journal vagabond (2018)

 

Ricciardo e Zoraide les deux ténors.jpg

 

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Ricciardo e Zoraide Prison.jpg

 

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17/08/2018
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