Anormal comme tout le monde (Queer as folk)
Une réussite, la série américaine Queer As Folk – « anormal comme tout le monde » – dont le titre se réfère à un dicton anglais généreux et tolérant qui souligne le fait que tout le monde est anormal à un degré ou un autre, sous-entendu : Que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre.
Le titre de la série joue sur le double sens du terme anglais queer qui veut dire « bizarre », et qu’on a vite utilisé dans le sens péjoratif de « pédé » pour finir, en anglais contemporain et politiquement correct par l’appliquer à une sexualité « non conventionnelle » et, aujourd’hui, aux Queer Studies universitaires, aux études autour de cette notion.
Ce que j'aime dans l’adaptation américaine de Queer As Folk/Pédé comme tout le monde, cinq saisons en tout – l’original britannique était plus local, dans le sens de plus anglais, et ne comptait que deux saisons –, c'est qu’elle touche l’universel, justement, alors qu'on pourrait trop vite la confondre avec une série pour un public défini et très spécifique, disons gay urbain et gay friendly américain.
Or justement, comme ça se passe dans un milieu gay urbain, confronté à toute une série de problèmes qui touchent tout le monde – la drogue, le sida, la mort, la famille et la reconnaissance et le respect de la part de la famille de ce que l'on est réellement, la parentalité, la sexualité, la vie de couple ou le refus de la vie de couple, le mariage ou le refus du mariage, etc. –, et que ce milieu gay urbain est fait d'hommes et de femmes qui ont dû faire un chemin personnel difficile pour s’assumer, s’émanciper, pour s'affirmer dans leur réalité intime, ça touche tout le monde.
UNE SÉRIE TRÈS ÉCRITE
On y appelle un chat un chat, et une chatte une chatte.
On parle de tout directement, sans tabou, sans circonvolutions.
Et on en parle avec violence mais aussi avec nuances, les choses n'étant jamais aussi simples qu'elles le paraissent : on peut être libéré et rêver d'un modèle de couple plus traditionnel, par exemple, ou on peut avoir une éducation – un surmoi – qui prend quelquefois le dessus sur les décisions qu'on a prises.
J'aime aussi beaucoup la dynamique que le personnage insolent et drôle – presque méphistophélien – de Brian imprime au reste des personnages. C’est un personnage très bien écrit, intelligent, intègre, touchant dans son hypersensibilité, avec son côté cynique, revenu de tout et la lucidité de son regard, tant sur lui-même que sur les autres, qu'il pousse dans leurs derniers retranchements et dont il souligne les contradictions et les incohérences.
Le seul défaut que je trouve quelquefois à la série - mais c'est parce que je suis sensible à l'écriture - c'est ce côté très américain qui évoque un peu trop systématiquement les issues, comme on dit en anglais, ce côté « sensibilisation aux problèmes du monde », ce côté un peu trop didactique, un peu trop éducatif, un peu trop édifiant en somme.
Il y a beaucoup d'épisodes qui s'articulent autour d'un problème de société, ce qui permet aux scénaristes de décliner tous les cas de figure, un procédé qu'on retrouve dans le plus conventionnel Desperate Housewives, pour citer une autre série à succès.
DE LA TENDRESSE AVANT TOUTE CHOSE
Mais je crois que ce que j'aime le plus, c'est cette tendresse qu'on ressent tout le long de la série, pour tous ces personnages, en particulier à travers le narrateur, Michael, et à travers ce personnage fabuleux de la mère de Michael, l’actrice, Sharon Gless.
Elle un parcours très particulier, c’est une célèbre actrice de série télévisée, avec, dans la tradition américaine, de graves problèmes personnels qu’elle a dû surmonter. Alcoolique, elle a suivi un traitement, a fait de la rehab, une réhabilitation qui sonne comme une rédemption, dans le sens puritain du terme.
Cette dimension personnelle – et médiatisée... – lui donne un surcroît de cœur, même si Debbie, son personnage de mère d’un fils homo, est un peu trop construit c’est à dire fabriqué : perruque rousse, boucle d'oreille cheap, couleurs vulgaires, tee-shirts rigolos, leggins, perpétuel chewing-gum dans la bouche et vocabulaire ad hoc. Elle a quelque chose des cabotinages de Robert de Niro dans ses rôles parodiques de mafieux.
Je trouve les scénaristes très malins parce que pendant cinq ans on suit vraiment les destins de toute une série de personnages qui évoluent, qui grandissent.
AU NOM DE L’AMOUR
Comme toujours dans les séries américaines, on applique des recettes d’écriture efficaces : les noms des personnages sont très bien trouvés, et donnent des pistes: Michael, c'est Michael Novotny (un nom polono/ukrainien, mais on y sent aussi le côté « nouveau »), alors que sa mère, c'est Debbie Grassi (un nom italien donc catholique, et elle est à la fois enveloppée et un peu lourde, dans tous les sens du terme) et son oncle, le frère de sa mère c'est Vic (de Victor, le victorieux).
Ted Schmidt, c'est Theodore Schmidt, d'origine allemande, donc plus rigide, Brian Kinney, c'est l'Irlandais, buveur, viveur, bagarreur. Justin Taylor fleure bon les bonnes familles anglo-saxonnes, il est mûr, intelligent, responsable. Emmett Honeycutt laisse deviner le passé plus rural du personnage (il vient d'un village perdu du Kansas, je crois).
Quant au filles, Lindsay est une pure white anglo-saxon protestant (wasp) de bonne famille, un peu rigide mais aussi un peu sauvage, et Melanie Marcus est d'origine juive, plus battante, plus colérique, plus révoltée, assez proche de Brian en somme, ces deux-là se comprennent parfaitement.
Dans une vie de couple, cette série aide à saisir certains problèmes de manière plus explicite. On se retrouve dans certains épisodes et dans certains personnages, on apprend aussi pas mal de chose sur ce qui peut être gênant pour soi dans une relation amoureuse, la fiction étant une manière astucieuse de synthétiser et de mettre en lumière les moments de vie auxquels on est confronté.
©Sergio Belluz, 2022, le journal vagabond (2008)
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