Cioran et l'Espagne (et moi, quelque part)
Il n'y a pas à dire: la culture, c'est ma danseuse.
Au début je regarde ou j'écoute, puis je feuillette, puis je m'assois, puis je lis... et puis, quelquefois c'est le coup de foudre, irrésistible, et j'achète en priant que la Providence divine (ou tout autre système impressionniste de répartition pécuniaire) trouve un moyen de me faire arriver à la fin du mois.
Surtout quand il s'agit d'une édition en un volume des oeuvres complètes de Cioran, par exemple.
En feuilletant au hasard - mais le hasard existe-t-il? Vaste question... - , j´ai été surpris par certains textes tout à fait chaleureux, notamment dans ses Exercices d'admiration. On ne s'attend pas à ça de la part de Cioran, réputé pour sa sécheresse.
Plusieurs passages m'ont été droit au coeur, sur l'admiration de Cioran pour l'Espagne et pour les mêmes raisons que moi - orgueil démesuré auquel correspond un humour et une ironie de soi tout aussi démesurés, Don Quijote et son pendant Sancho Panza - l'autre sur ses rapports avec l'argent et le travail.
Au sujet de l'Espagne, ce pays que j'aime tant, il dit ceci:
- "Les Espagnols pratiquent fanatiquement la dérision. Leur orgueil personnel, toujours accompagné d'ironie, se retourne contre eux, et grâce à cela, n'est pas insupportable en définitive. [...] L'Espagne représente pour moi l'émotion à l'état pur."
- "J'ai une sorte de culte de l'Espagne. J'aime en Espagne toute la folie, la folie des hommes, ce qui est imprévisible. Je suis fou de tout en Espagne. C'est le monde de Don Quichotte."
Quant au travail, voilà sa philosophie:
"Pendant vingt ans, avec presque rien, ma subsistance se trouvait assurée. Je vivais dans un hôtel bon marché et je mangeais dans les restaurants universitaires. Un des jours les plus sombres de ma vie a été celui où l'on m'a convoqué à l'université pour m'annoncer que la limite d'âge pour accéder aux foyers des étudiants était de vingt-sept ans. Comme j'en avais quarante, c'était fini.
Tous mes projets, tout mon avenir, se sont écroulés ce jour-là. Je me voyais si bien en éternel étudiant raté et pauvre, traînant avec d'autres déchets de mon espèce au Quartier Latin. Cela correspondait si bien à ma vision du monde. Je me disais: il faut tout faire sauf travailler."
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2005).
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