sergiobelluz

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Une mise en scène moderne ET intelligente ça existe : je l’ai rencontrée !

DON GIOVANNI OU LES TUBES ENTUBÉS

 

Quoi de plus compliqué à aborder, et surtout à renouveler, que la mise en scène d'un classique aussi indiscutable que le Don Giovanni de Mozart, avec ses airs que tout le monde connaît ? C'est là où la grosse paluche incompétente de l'inculte aspirant metteur en scène contemporain, soucieux de se faire un trou et un nom dans le business, sévit le plus, en particulier dans les maisons d'opéra à gros budget, bourgeoises par définition, mais soucieuses de se faire passer pour avant-gardistes : on est sûr d'emmerder tout le monde, et ça fait énormément de pub. L'idéal, en ces temps médiatiques où le buzz prime sur la compétence.

 

J'ai souvenir d'un Don Giovanni mafieux à la Coppola avec son Leporello tueur à gages évoluant dans un cimetière de voitures et constamment dérangé par une Donna Elvira hystérique et nymphomane (un pléonasme selon le metteur en scène) qui n'arrêtait pas de monter et de descendre une échelle - peut-être métaphorique, l'échelle, qui suivait les hauts et les bas des coloratures de la chanteuse.

 

Je ne me souviens pas si le Commandeur était mécanicien en chef dans un garage surchauffé, mais l'enfer était autant sur scène (pour le vil séducteur, et pour les pauvres chanteurs, en particulier) que dans la salle...

 

ET KASPER HOLTEN VINT

 

Et on se demande: mais enfin, comment se fait-il qu'avec l'extraordinaire développement des nouvelles technologies, en particulier dans les arts scéniques, on ne soit pas foutu de les mettre intelligemment au service de classiques qui le sont parce que justement ils survivent à tout et s'enrichissent et reflètent à chaque fois les nouvelles sociétés qui les regardent?

 

Kasper Holten, le grand metteur en scène danois, et actuel directeur du Royal Opera House de Londres, l'a fait dans une extraordinaire coproduction du Royal Opera House de Londres, du Liceu de Barcelone, de l'Israeli Opera de Tel Aviv et du Houston Grand Opera.

 

Imaginez donc une modernisation totale de Don Giovanni dont on a gardé toute la profondeur et les équilibres internes, avec une élégance sobre et intemporelle - costumes XVIIIsur fond hypermoderne, avec codes de couleurs (la robe tachée de Donna Anna, c'est son honneur entaché) – , hiératisme qui rend la noblesse des personnages, travail raffiné sur le texte des récitatifs restituant toute la saveur du livret de Da Ponte, brillant librettiste, direction d'acteurs-chanteurs précise, cohérente, expressive - le tout dans le respect du public du poulailler (dont je fais partie), puisque les personnages évoluaient au centre de la scène, visibles de toute la salle, quel que soit le budget du spectateur.

 

LA PERFECTION: UNE QUESTION DE DÉTAILS

 

Rien n'est plus difficile que d'utiliser l'Ouverture d'un opéra: soit on laisse le rideau fermé, et on laisse l'orchestre jouer avant d'ouvrir le rideau pour l'action - l'Ouverture est à l'opéra ce que le quatrième de couverture est au roman, un avant-goût aguicheur de ce qui va être raconté - soit on ouvre le rideau, mais alors il faut occuper la scène par quelque chose.

 

Ici, pendant l'ouverture, Kasper Holten a eu l'ingénieuse idée d'ouvrir le rideau sur un dispositif très simple: la façade d'une propriété de deux étages avec portes et fenêtres qui, plus tard, s’ouvriront, donnant la vue sur un intérieur avec escaliers - on pense au film de Losey, en particulier aux scènes filmées au Teatro Olimpico de Vicenza, ce chef-d'oeuvre du trompe-l'oeil par Palladio -, une façade claire dont les murs, peu à peu se remplissent, à la manière de graffitis, des noms des conquêtes de Don Giovanni, annonçant dès l'entrée le fameux Catalogue que chante plus tard Leporello, son valet.

 

Cet unique décor est construit sur un plateau tournant, qui offre d'autres angles sur l'action. Sur la façade on projette à chaque fois l’humeur des personnages: lors du célèbre Là ci darem la mano, lorsque Don Giovanni fait la cour à Zerlina, les parois se remplissent de ciel bleu et de petits nuages. Plus tard, lorsque Donna Anna soudain comprend que c’est Don Giovanni qui l’a violentée et qui a causé la mort de son père, son nom, Anna, apparaît sur la façade. Plus tard encore, lorsqu'elle est sur le point de venger son honneur, les parois dégoulinent du sang qui a été versé. Pendant la scène du bal, les ombres des danseurs invités apparaissent en ombres chinoises...

 

ENFIN UN METTEUR EN SCÈNE QUI RÉPOND DE SES ACTES!

 

Au deuxième acte, le décor se réduit à la partie centrale du mur, toujours avec des panneaux qu’on referme, des portes et des fenêtres qu’on ouvre, laissant voir l’intérieur de la maison.

 

Les parois continuent à refléter les états d’âme (ou ce que chante le personnage), quelquefois précise le nom de la femme (Elvira, Anna, Zerlina), comme un petit rappel au spectateur.

 

La fin est intelligente, ouverte, ambigüe : Holten joue avec les fameux coups à la porte donnés par le Commandeur, là c’est Donna Elvira qui feint de les entendre et Leporello qui feint de voir le fantôme, comme pour faire peur à Don Giovanni et lui donner une leçon.

 

Donna Anna, quant à elle, porte sur ses bras le buste du Commandeur, le même buste qui servira de statue, au moment de la scène où Don Giovanni dit à Leporello de convier le Commandeur à souper. Leporello fera comme si c’est le buste qui dit oui (on le voit faire opiner le buste, puis le passer à Don Giovanni, qui le fait aussi opiner, on ne sait pas si c’est le buste qui opine tout seul...)

 

Don Giovanni lance alors le buste qui se brise sur le sol (idée visuelle magnifique), et continue à n’y pas croire. Il en casse encore quelques morceaux, et, quand le Commandeur prend la parole, met un bout du buste en marbre sur son oreille, comme un téléphone portable.

 

Don Giovanni finit devant la maison, devenue blanche. Le Commandeur apparait dans une porte qui s’ouvre à l’étage supérieur. Toute la scène se fait ainsi jusqu’à ce que Don Giovanni se sente pris par les enfers, mais on ne voit ni feu, ni flamme, ni effet particulier. Le Commandeur disparait et Don Giovanni reste sur scène debout jusqu’au bout.

 

La lumière s’allume dans la salle. Le choeur final est chanté par Leporello, Donna Anna, Donna Elvira, Don Ottavio, Masetto et Zerlina depuis la fosse d’orchestre, comme s'ils se joignaient au public pour assister à la fin du pécheur...

 

LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS

 

Mais quelle fin, justement? Aujourd'hui, plus personne ne croit au paradis, à la damnation ou aux enfers. Comment respecter Mozart  et Da Ponte tout en rendant cette fin crédible et cohérente? 

 

Kasper Holten, en homme du XXIe siècle, a eu l'idée toute simple et magnifique de laisser la fin ouverte: la musique termine, la lumière s’éteint à nouveau dans la salle, et Don Giovanni reste seul illuminé face au public : damné ? pas damné? repenti? irrécupérable? Qui est juge?

 

Il y a de très intelligentes et modernes ambivalences: tant Donna Anna (Vanessa Goikoetxea) que Donna Elvira (Myrtò Papatanasiu) restent amoureuses de Don Giovanni : on voit Donna Anna retournant à l’acte II dans la chambre de Don Giovanni...

 

Les tempi de l’orchestre, sous la direction de Joan Pons, étaient fabuleux, rapides, comme il sied pour cette oeuvre, avec des sonorités baroquisantes que les chanteurs suivent aussi dans certains passages en évitant le vibrato, en « voix blanche »... 

 

Et quel grand chanteur que Carlos Álvarez, un Don Giovanni d'une extraordinaire splendeur vocale: puissance, sûreté, voix virile, jeu, tout y est. La célèbre sérénade, très italianisante, était impressionnante de lyrisme, de grâce et de précision. 

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017).

 

Photos©Bofill, 2017

 

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07/07/2017
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