Wagner prend son temps
Je suis allé voir une Götterdämmerung de Wagner au Liceu de Barcelone. C’était superbe, une mise en scène brillante de Robert Carsen, une Brünnhilde majestueuse, une Gudrune sublime (un magnifique soprano lyrique), mais un Siegfried très mauvais, rien du Heldentenor, avec une émission très instable.
Cette musique est enivrante, puissante, les sentiments sont exacerbés et, dans ce quatrième volet de la Tétralogie, toute la méchanceté et la violence humaine sont longuement exprimées, il y a une sorte de beauté du mauvais, une fascination de l’inexorable, une fuite en avant des personnages vers leur destin tragique.
C’est aussi là qu’on voit combien le rythme est important.
Je veux dire que Wagner, dans sa Tétralogie, élargit le temps, l’agrandit, s’arrête à chaque pas sur ce que ressentent ses personnages.
Leur peine, dans un opéra italien, serait résumée à un grand air solo.
Ici, c’est quinze minutes de musique, les personnages et le public se plongent avec volupté dans les affres de l’âme humaine.
Quelquefois, que ce soit dans l’écriture, au cinéma ou au théâtre, il faut prendre ce temps élargi, l’utiliser au maximum, faire durer l’état d’âme, comme lorsqu’on ressasse une peine qui, du coup, prend une dimension gigantesque, métaphysique.
C’est un artifice théâtral que Wagner a su utiliser parfaitement.
Richard Strauss aussi, d’ailleurs, et le Verdi d’Aida (cette longue scène de la fin de l’opéra, par exemple, si magnifique).
Au cinéma, c’est un truc qu’utilise aussi, il me semble, un Terrence Mallik, par exemple, et les grands classiques du cinéma muet, qui s’arrêtent sur un mouvement d’humeur ou sur une tristesse.
©Sergio Belluz, 2018, le journal vagabond (2016)
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