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‘Le Barbier de Séville’ de Rossini : Beaumarchais et Pier Luigi Pizzi en bonus

Dire que Pier Luigi Pizzi est un metteur en scène et un scénographe élégant est un euphémisme : c’est un extraordinaire styliste dont on reconnait facilement la grammaire.

 

Pas facile de renouveler la mise en scène du ‘Barbiere di Siviglia’ de Rossini, continuellement représenté depuis sa création en 1815, et c’est ce que réussit Pizzi pour cette étonnante production proposée dans le cadre de l’édition 2018 du Rossini Opera Festival de Pesaro.

 

Comme Pizzi le déclarait au magazine La Freccia: « Non ci troviamo di fronte a una farsa, ma a una commedia d’intrigo. Rossini rende tutto chiaro e logico col filtro geniale della sua ironia” - “Il ne s’agit pas d’une farce, mais bien d’une comédie d'intrigue. Rossini rend tout logique et clair avec le filtre génial de son ironie. »

 

Pizzi et son assistant Massimo Gasparon, en effaçant tout un fatras de conventions scéniques et en épurant l’ensemble, ont redonné toute sa fraicheur à ce chef-d’oeuvre jamais démodé et toujours aussi drôle.

 

LA GRAMMAIRE PIZZI

 

Plateau sobre et dégagé, plans géométriques qui se modulent selon les scènes, éclairage qui illustre l’unité de temps théâtrale en partant d’une aube blafarde pour s’éclairer peu à peu et terminer la nuit, utilisation sophistiquée de la couleur, celles du décor, celles des costumes, de façon à ce que ce soit non seulement pertinent par rapport à l’argument – chez Pizzi, pas d’uniformes nazis ajoutés au décor hideux sous prétexte qu’un opéra parle de tyran – déplacements tenant toujours compte de la perception visuelle du spectateur...

 

C’est comme si Pizzi travaillait d’abord sa mise en scène sur des silhouettes à contrejour, scénographie à la fois luxueuse, ingénieuse et pratique, déplacements logiques, utilisation parfaite de l’espace.

 

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de le voir à l’oeuvre : l’Opéra Bastille avait repris la scénographie qu’il avait créée pour la version Giorgio Strehler des Noces de Figaro, avec d’extraordinaires effets de perspective jouant sur un fond très clair et une sorte de couloir en bois juxtaposé et modulable.

 

En 2017, à Pesaro, c’était encore sa mise en scène raffinée qui illuminait, littéralement, 'La Pietra del Paragonede Rossini, placée dans une belle villa italienne ensoleillée de style Bauhaus (avec piscine).

 

À nouveau, c’est toute l’intelligence, la sophistication scénique de ce grand metteur en scène de quatre-vingt-huit ans qui épate.

 

TOUCHE PAS À MON OUVERTURE !

 

D’abord, la fameuse ouverture du ‘Barbiere : une grande majorité de metteurs en scène, aujourd’hui, ne peut s’empêcher d’utiliser ce moment-là pour y glisser des tonnes d’informations sur leur « vision » de l’oeuvre.

 

Ça va, en vrac, de la mise en abyme liée à l’époque où le spectacle a été créé, avec les spectateurs de ce temps-là, et nous, regardant les spectateurs qui regardent le spectacle, ou alors le truc du personnage principal qui apparait pendant l’ouverture et se remémore ce qui va suivre en flashback cinématographique, ou encore un défilé de clowns, jongleurs, acrobates qui font leur numéro pendant l’ouverture pour dire et souligner trois fois : « Voyez, le monde est un théâtre », j’en passe.

 

Avec Pizzi, on revient à l’origine de l’ouverture, qui servait à la fois de signal aux spectateurs que l’opéra allait commencer, et pour préparer le terrain en leur donnant un avant-goût en forme de pot-pourri des airs qu’ils allaient pouvoir entendre, afin qu’ils attendent avec impatience que le rideau s’ouvre.

 

Aujourd’hui on surcharge terriblement toutes les mises en scène, on utilise la moindre note, comme s’il s’agissait soit de mâcher le travail au spectateur – qui peut, c’est un minimum, se renseigner avant et lire le synopsis, on est à l’ère d’internet, quand même – soit lui dire de manière présomptueuse : « Attends, t’as rien compris, coco, en fait, c’est plus compliqué que ça », soit, encore, occuper le spectateur à plein de trucs, dans la terreur que, superficiel, il soit incapable de fixer son attention sur l’oeuvre s’il y a le moindre temps mort...

 

LE ‘BARBIERE’ DE PIZZI : LUXE, COMÉDIE ET VOLUPTÉ

 

Pour en revenir à cette version du Barbiere par Pizzi, il épure tout, il rajeunit tout, il modernise tout et il travaille dans la profondeur de l’oeuvre elle-même plus que dans les gadgets.

 

La scénographie d’abord : au début du premier acte, le Comte Almaviva est amoureux de la belle Rosine, qu’il a entrevue à Madrid. Il l’a suivie à Séville et (on suppose) a loué une maison avec balcon-terrasse juste en face de la maison avec balcon-terrasse où habite Rosina : on voit les deux maisons se faire face, avec leurs grands balcons respectifs.

 

Le balcon de Rosina (cloîtrée par son tuteur, le barbon Bartolo) est signalé par une grande marquise abaissée et des volets fermés, et toutes les scènes de sérénades, ou de dialogues et d’airs avec Figaro se passent entre les deux maisons.

 

Au second acte, tout le dispositif glisse vers la gauche : la maison du Comte disparait, celle de Rosina vient se mettre à gauche et apparait alors le patio intérieur de la maison de Rosina, où vont se passer toutes les scènes entre Rosina et son tuteur, au petit déjeuner en particulier, que Rosina prend dans le patio.

 

À la fin du second acte, ce même patio devient alors salon intérieur par le simple fait de deux grandes parois noires qui viennent couvrir les deux côtés de la scène, encadrant ainsi, comme un cache, le salon de la maison de Rosina et Bartolo.

 

ENCADRÉS ET HORS CADRE

 

Ce dispositif permet, par moments, des scènes chantées qui « débordent » sur le fond noir des deux côtés de la scène, isolant les personnages qui, en plus, viennent aussi chanter leur peine ou leur amour sur une passerelle placée entre la fosse d’orchestre et le public – un magnifique effet scénique, expressif, raffiné et totalement logique d’un point de vue théâtral.

 

Les déplacements des chanteurs sont aussi réglés pour que des lignes visuelles soulignent ce qu’ils sont en train d’exprimer et leur rapport avec les autres personnages.

 

Les costumes aussi, jouant sur les blancs et les noirs, dialoguent avec le décor, lui-même oscillant entre le gris-perle, le blanc et le noir, que ce soit par contraste ou en jouant avec le ton sur ton. Pizzi, tout d’un coup, va ajouter des touches de couleurs (la cape rouge vif du Conte Almaviva pendant sa sérénade, la robe bleue de Rosina) qui vont ressortir magnifiquement sur cet ensemble.

 

LE ‘BARBIERE’, UN CONFLIT DE GÉNÉRATION ?

 

L’autre parti pris de l’octogénaire Pizzi dans cette production : la jeunesse !

 

Tous les personnages ont l’âge de leur rôle, le Conte, Rosina, Figaro sont jeunes, pleins d’énergie, de sensualité exacerbée, d’envie de s’amuser, ce qui rend l’action encore plus logique, puisque Bartolo, le vieux barbon, est effectivement une vieille barbe, tout comme Basilio, son ami.

 

C’est toute la révolte de la jeunesse contre les règles des parents qui apparait en filigrane.

 

Inutile de dire que les interprètes étaient galvanisé dans ce cadre si intelligent, que ce soit le valet du Comte, Fiorello (William Corrò, drôlissime avec ses cheveux sauvages), ou Figaro, un Davide Luciano malin et sexy qui assure dans le fameux «Figaro qua, Figaro la», et d’autant plus avec sa jeunesse, ce barbier-là se lassant très vite de tous ces raseurs, en une mise en abyme plus que facétieuse.

 

Le Comte (le ténor russe Maxim Mironov), avait toute la grâce élégante et un peu hautaine de l’aristocrate qui peut tout se permettre, la Rosina d’Aya Wakizono, superbe, avait tout ce qu’il fallait de caractère pour rendre crédible ce personnage qui, malgré les difficultés, ne va pas se laisser faire, ah ça non.

 

Quant au Bartolo du fabuleux Pietro Spagnoli, il a été travaillé sur plusieurs facettes : d’abord, dans les récitatifs, il parle avec un accent milanais, c’est à dire français. En Italie, on appelle ça la « erre moscia », le « r » grasseyé, ce qui, évidemment, donne un effet comique garanti pour un public italien plus au sud, et rappelle peut-être, aussi, la pièce originale de Beaumarchais.

 

Vocalises à couper le souffle, lyrisme, tendresse, magnifiques legati, sublimes portamenti, contrastes, récitatifs secs (accompagnés au clavecin) travaillés au cordeau et vivants et drôles, avec un Orchestra Sinfonica Nazionale della Rai dirigé de main de maître rossinien par Yves Abel ont assuré le triomphe de cette production d’anthologie.

 

©Sergio Belluz, 2018,  le journal vagabond (2018)

 

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18/08/2018
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