sergiobelluz

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Michel Simon par Colette.

"Michel Simon ne sait pas par quelle particularité il a attiré autrefois, la première fois, mon attention…Qu’il le sache maintenant : j’ai remarqué qu’il ne faisait aucun bruit en marchant. Parfois, il devait se rendre compte que son rôle réclamait qu’il fît, en marchant sur la scène, le bruit de pas que fait l’espèce humaine.  Alors, il appuyait fortement ses semelles, et, au besoin, heurtait du soulier, un meuble. Mais le naturel lui revenait vite, et il redevenait ensemble, léger, gauche, puissant, élastique, comme un chimpanzé qui marche sur ses deux mains postérieures.

 

Je fus plus troublée que surprise quand on me dit que Michel Simon aimait les singes, les traduisait aisément et se faisait entendre d’eux. Je craignis que, dans le temps même où se formait le plus extraordinaire tempérament de comédien, Michel Simon ne déclarât soudain sa préférence, n’optât pour une île lointaine où l’eussent suivi ses bien-aimés, la guenon capable de répandre des larmes, le chien jaloux et résigné, quelque chat plein de secrets, et les oiseaux qu’il rassurait par des mots d’eux et de lui connus. Mais il parut choisir le théâtre, peut-être parce que le théâtre, et le public, réclamaient déjà cet étrange acteur, tendre et mal dompté.

 

Bientôt, il inquiéta la foule de ceux qui l’auraient voulu exclusivement comique. Il ajoutait à ses grimaces, à sa façon unique de « servir » le mot, à sa préciosité pâteuse, une autre sorte de mystère, des larmes de criminel névropathe. C’est dans cette note de couleur doucereuse qu’il créa Fric-Frac et Quai des Brumes, où il tient des rôles de mauvais-homme. Dans Quai des Brumes, le vrai moment de l’épouvante est celui qui confronte, devant un miroir, Michel Simon et Michel Simon, l’homme et son reflet : cherchant, avec leur laideur, un accommodement. Un tel dialogue muet, et terrible, ne conduira-t-il pas un metteur en scène à tourner le conte d’Edgar Poe, Double crime dans la rue Morgue, et une version nouvelle du Le Docteur Caligari ? Nous verrions Michel Simon, grand artiste bizarre, debout sur une fenêtre, hésitant ici au bord de la folie, et là au seuil de l’humanité simiesque. Car lui seul peut tenter ce qui découragerait tous les autres."

 

Colette, J’aime être gourmande, pp. 39-40 (Paris : L’Herne, 2011)

 

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25/05/2015
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