Notes grecques (10) : Mon Salonique
Une fois encore, je n’ai pas retrouvé le quartier perdu de mon enfance au Pirée, mais une fois encore j’en ai retrouvé quelques parcours, quelques traces, me rappelant à nouveau certaines rues extrêmement raides du centre du Pirée, où, quand il pleuvait, l’eau ruisselait en cascade.
Nous habitions dans un quartier flambant neuf où vivait une population de petite classe moyenne : des maisons mitoyennes dans une rue très en pente, de jolies maisons de deux étages au sol de marbre, en bas le salon et la cuisine, en haut les chambres.
Nous y avions été reçus par Iannis et sa femme Elena. Ils avaient un fils, Alexandros, qui devait avoir trois ans. Iannis était musicien, joueur de bouzouki. II avait pu sans doute s’offrir cette maison grâce à ce qu’il avait gagné en jouant en Suisse à la Taverne Grecque de Lausanne, qui se trouvait alors aux Escaliers du Marché, où se trouve aujourd’hui une librairie.
Ma soeur et moi, peu coutumiers des habitudes locales, sortions pendant les heures de sieste et montions sur une sorte de terrain vague tout en haut de la rue.
Là, je m’étais très vite habitué au jouet traditionnel : un vieux pneu qu’on mettait sur sa tranche et qu’on faisait avancer avec un bâton.
Quand on ne jouait pas, on se promenait, on regardait avec curiosité passer les popes, tout en noir, avec leur chapeau carré, ou on allait s’acheter des pistaches.
À la maison, j’avais découvert, un peu méfiant, le poulpe à la grecque, et avais tout de suite aimé les semoules sucrées et le ‘Café Nes’ – Nestlé, déjà... –, un café qui se buvait froid avec des glaçons.
Et puis, de gentilles voisines qui vivaient deux maisons plus haut m’avaient pris comme élève : elles étudiaient à l’École française d’Athènes et me donnaient pour chaque mot français l’équivalent grec, me les désignant du doigt.
J’avais très vite acquis un vocabulaire de base pratique, et les chiffres, qui me sont toujours restés – mais le vocabulaire est enfoui quelque part, attendant un hypothétique réveil...
J’avais eu la fierté de pouvoir corriger la prononciation grecque de ma mère qui, pourtant, chantait avec un accent parfait ‘Thessaloniki Mou’, cette chanson si belle dédiée à la ville de Salonique, une chanson joyeuse et chaleureuse à la fois, qui pourtant m’émeut à chaque fois, parce qu’elle évoque une ville qu’on a aimée, enfant, et parce qu’en l’entendant, c’est ma mère que j’entends chanter.
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017).
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