Pesaro (4) : l’opéra vu du poulailler ou Gloire et Misère du ‘loggione’.
En Italie, à l’opéra, le ‘loggione’, le poulailler, c’est sacré, c’est toute une institution, et, peut-être, une des institutions les plus démocratiques de ce pays où l’État et les citoyens ont fait un mariage de raison et font depuis toujours chambre à part.
D’abord parce que c’est le public du ‘loggione’ qui fait et défait les vedettes, quelques 'loggionisti' sont même payés par les vedettes.... À Milan, Maria Callas a dû les affronter ces ‘loggionisti’, qui faisaient la vie à cette grecque venant piquer les rôles de la grande Renata Tebaldi, alors reine incontestée de la Scala. C’est Callas qui l’a emporté avec panache. Roberto Alagna, en revanche, a déclaré forfait à deux reprises.
Et puis, pas de passe-droit pour le ‘loggione’, pas de privilège ou de priorité, impossible de réserver à l’avance : il faut être sur place et avoir du temps.
Que ce soit à la Scala de Milan, au Théâtre de Ravenne ou au Teatro Rossini de Pesaro, c’est traditionnellement à 00.01 heures du jour de la représentation de l’opéra que le ‘capolista’, le chef improvisé de la liste, le premier à arriver devant les portes du théâtre, colle soigneusement sur la porte du théâtre la liste d’inscription pour les places du ‘loggione’, en écrivant son nom au tout premier rang.
Les habitués le savent, et savent aussi que le rang dans la liste indiquera l’ordre d’entrée au ‘loggione’, et donc les meilleures places à choisir pour les premiers inscrits. On tâche d’être bien placé dans la liste.
Il faut ensuite se présenter en journée aux heures indiquées des divers pointages, par exemple à 9.00 du matin, puis à 15.30, une demi-heure avant l’ouverture des guichets. Le ‘capolista’ fait le dernier appel, et veille à ce que les futur(e)s ‘loggionisti’ se mettent en rang selon l’ordre de la liste pour ensuite payer leur billet (20 euros en général) au guichet. Malheur à qui n’est pas présent à l’appel, il perdra sa place, au grand contentement de ceux qui le suivent dans les rangs.
Une fois le billet en poche, on refait la même queue pour se préparer à accéder enfin au paradis. L’accès au ‘loggione’ ne se fait pas par la porte principale mais par une entrée latérale que des huissiers viennent ouvrir depuis l’intérieur quarante-cinq minutes avant la représentation.
Car être fondamentalement démocratique ne veut pas dire mélanger les torchons et les serviettes.
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2014).
Illustration : « Piccolo teatro nomade »©Annamaria Mazza, 2015.
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