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Quelle crise du cinéma ?

La cinquante-et-unième édition du Festival international du film fantastique de Sitges bat son plein, dans tous les sens du terme, et attire son lot de monstres sacrés (cette année Nicholas Cage, Tilda Swinton et Pam Grier) et de ‘frikis’ – version espagnole du ‘freak’ américain, le freak, c’est chic – déguisés en créatures de toutes sortes, sans compter la traditionnelle ‘Zombie Walk’.

 

On vient de loin pour ce défilé et pour danser sur le ‘Thriller’ de Michael Jackson avec pustules, cicatrices sanglantes, crâne aux cheveux arrachés, yeux désorbités ou étoilés ou tigrés (un ami opticien m’a convié, ravi, que ce jour-là la vente de lentilles de contact fantaisie « marchait très fort »).

 

Il est très bien ce festival, et rappelle à tous les cinéphiles que parler de crise du cinéma est tout relatif : la catégorie ‘slasher’, film à budget modéré comprenant zombie, possession démoniaque, fantôme, vampire, loup-garou, extraterrestre, massacre à la tronçonneuse ou psychopathe – c’est cumulable, il y a des fantômes psychopathes ou des zombies extraterrestres – est extrêmement rentable.

 

Et ce cinéma-là ne connait pas de frontières et est apprécié partout. D’autres cinématographies y sont passées maîtres, la chinoise, la japonaise, la coréenne, et dans ce cinéma « de genre » – comme on parlerait de roman d’amour, de roman terroir ou de roman policier – se côtoient aussi bien des superproductions aux budgets stratosphériques que le film artisanal mais malin (et quelquefois diabolique).

 

C’est ce que je me disais en faisant la queue l’autre soir devant le vieux cinéma ‘El Retiro’ de Sitges – sièges de velours bleu cobalt, balcons, fresques, ça existe encore ! – pour assister pendant quatre heures non-stop à ‘Along With The Gods : The Two Worlds’ et sa suite ‘The Last 49 Days’, deux superproductions coréennes avec gros effets spéciaux, images léchées, aventure et humour.

 

Le premier volet date de 2017, le second de 2018, c’est du metteur en scène Kim Yong-hwa, et les deux ont été de très grands succès (mérités) en Corée comme partout ailleurs en Asie.

 

Dans une esthétique et un rythme trépidant qui va de ‘Matrix’ (pour le côté rock et les longs manteaux de cuir noirs) au Spielberg des ‘Aventuriers de l’Arche perdue’ pour les péripéties incessantes, c’est l’histoire très mélo aussi d’un pauvre pompier qui meurt en voulant sauver une mère et son enfant.

 

Il est appelé au Tribunal Bouddhiste où il doit répondre de ses actes devant les dieux et déesses juges de différents péchés (l’avidité, la paresse, la violence...). Condamné à d’horribles tourments éternels – la peine correspond au péché, c’est l’équivalent coréen du ‘contrapasso dantesco’ – par deux procureurs sans pitié mais incompétents, il a la chance d’être défendu par trois avocats commis d’office, deux hommes et une femme, qui en sont à leur énième réincarnation et qui, de leur côté, n’ont pas tout réglé dans leurs vies passées (au pluriel)...

 

On passe de la Corée hypermoderne à la Corée mythologique et on s’amuse beaucoup avec pleins de petits clins d’oeils anachroniques, sans compter les commentaires cyniques et désabusés des juges et des avocats de l’au-delà, ce même humour qu’on trouve, par exemple, dans le texte parlé de La Flûte Enchantée (les geôliers de Papageno se plaignent qu’on leur envoie n’importe quoi), et qui fonctionne sur le même schéma : des étapes à franchir pour prouver que l’âme d’un possible pécheur en série vaut la peine d’être épargnée.

 

On pense aussi, à cause des fonctionnaires célestes mais tatillons – rond-de-cuir on nait, rond-de-cuir on renait – à l’’Orphée’ et au ‘Testament d’Orphée’ de Cocteau et on se dit que les cultures en apparence éloignées fonctionnent de la même manière, les vertus et les vices se ressemblant comme deux gouttes d’eau.

 

Après quatre heures d’évasion dans des paysages spectaculaires – plaines infinies où surgissent des dinosaures, chutes d’eaux vertigineuses, mers peuplées d’énormes et sanguinaires piranhas, déserts rouges, glaciers infranchissables, cratères où flottent d’énormes rochers... – qui alternent avec des scène de pur et bon gros mélodrame, on se dit qu’un certain cinéma n’a rien perdu de ce qui faisait l’attrait de sa jeunesse et de son âge d’or, où la nécessité commerciale n’était pas en contradiction avec le savoir-faire, la qualité de l’histoire et celle de l’image.

 

Le cinéma est peut-être en crise, mais le bon vieux cinoche, même quand il filme des morts-vivants, se porte comme un charme. Comme quoi certains maléfices peuvent apporter de gros bénéfices.

 

©Sergio Belluz, 2018, le journal vagabond (2018).

 

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12/10/2018
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