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Amuser a une fonction sociale (Italo Calvino)

Italo Calvino est un auteur que j’aime beaucoup, proche, dans sa démarche, d’un Raymond Queneau, à la fois technique et s’amusant de la technique dans des œuvres littéraires et métalittéraires à la fois.

 

J’ai recopié plusieurs textes d’introduction au Visconte dimezzato (Le Vicomte pourfendu) d’Italo Calvino, dont une fabuleuse introduction, très documentée.

 

TRÈS PARTAGÉ, L’INTELLECTUEL CONTEMPORAIN

 

Dans une lettre à C. Salinari, du 7 août 1952, Calvino écrit ceci (ma traduction) :

 

« Ce qui était important pour moi, c’était le problème de l’homme contemporain (de l’intellectuel, pour être plus précis) partagé, c’est à dire incomplet, ‘aliéné’.

 

Si j’ai choisi de partager mon personnage en suivant la ligne de fracture « bien-mal », c’est parce que ça me permettait un maximum d’images contrastées, et ça se rattachait à une tradition littéraire déjà classique (par exemple Stevenson) ce qui fait que je pouvais en jouer sans m’inquiéter.

 

Et mes allusions moralistes, appelons-les comme ça, ne ciblaient pas tant le Vicomte que les personnages qui l’entourent, qui sont des simplifications de mon propos : les lépreux (c’est à dire les artistes décadents), le docteur et le charpentier (la science et la technique détachées de l’humanité), ces huguenots, vus de manière sympathique mais aussi ironique (et qui sont un peu une allégorie autobiografico-familiale, une espèce d’épopée généalogique imaginaire de ma famille) et aussi une image de toute la pensée moraliste bourgeoise. »

 

(L’original : « A me importava il problema dell’uomo contemporaneo (dell’intellettuale, per esser più precisi) dimezzato, cioè incompleto, “alienato”.

 

Se ho scelto di dimezzare il mio personaggio secondo la linea di frattura “bene-male”, l’ho fatto perchè ciò mi permetteva una maggiore evidenza d’immagini contrapposte, e si legava a una tradizione letteraria già classica (p. es. Stevenson) cosicchè potevo giocarci senza preoccupazioni.

 

Mentre i miei ammicchi moralistici, chiamiamoli così, erano indirizzati non tanto al visconte quanto ai personaggi di cornice, che sono le vere semplificazioni del mio assunto: i lebbrosi (cioè gli artristi decadenti), il dottore e il carpentiere (la scienza et la tecnica staccate dall’umanità), quegli ugonotti, visti un po’ con simpatia e un po’ con ironia (che sono un po’ una mia allegoria autobiografico-familiare, una specie di epopea genealogica immaginaria della mia famiglia) e anche un’immagine di tutta la linea del moralismo idealista della borghesia.  »

 

Lettre à C. Salinari del 7 agosto 1952, parue dans I. Calvino, I libri degli altri. Lettere 1947-81, Turin: Einaudi, 1991, p.67.)

 

S’AMUSER À DIVERTIR, S’AMUSER À ÉCRIRE

 

Pour Italo Calvino, le fait que les gens s’amusent à le lire est tout aussi important que le fait qu’il s’amuse lui-même au moment de l’écriture. Dans une lettre à Emilio Cecchi, du 3 novembre 1961, il écrit ceci (ma traduction) :

 

« Quand j’ai commencé à écrire Le Vicomte, je voulais surtout écrire une histoire amusante pour m’amuser moi-même et, si possible, pour amuser les autres ; j’avais cette image d’un homme coupé en deux et j’ai pensé que ce thème de l’homme coupé en deux, partagé en deux, était un thème intéressant, qu’il avait une résonance contemporaine : on se sent tous plus ou moins incomplets, on développe tous une partie de soi et pas l’autre.

 

Pour ça, j’ai cherché à concevoir une histoire qui tienne debout, qui ait une symétrie, un rythme à la fois de récit d’aventure mais aussi de ballet. Il m’a semblé que pour différencier les deux moitiés il fallait créer un côté méchant et un côté gentil pour un maximum de contrastes. C’est une construction narrative basée sur les contrastes.

 

Du coup, l’histoire est construite sur une série d’effets de surprise : à la place du Vicomte entier, c’est le Vicomte à moitié qui revient au pays, et il est très cruel, il me semblait que ça créait un effet maximal de surprise ; ensuite, à un certain moment, le fait qu’on découvre un Vicomte absolument bon à la place du méchant créait un autre effet de surprise ; et que ces deux moitiés soient toutes deux insupportables, tant la gentille que la méchante, créait un effet comique et, en même temps, donnait du sens, parce que des fois, les gentils, les gens trop systématiquement gentils et pleins de bonnes intentions, sont d’insupportables casse-pieds.

 

Ce qui est important, dans un truc de ce style c’est de créer une histoire qui fonctionne d’un point de vue narratif, et qui capte le lecteur. En même temps, je suis toujours attentif au sens : je suis attentif à ce que l’histoire ne soit pas interprétée dans un sens contraire à celui que je veux ; du coup, toutes les significations sont importantes, et dans un conte comme celui-ci, le rôle de la narration, et, disons, celui de l’amusement, est très important.

 

Je trouve que le fait d’amuser a une fonction sociale, ça correspond à ma morale ; je pense toujours au lecteur qui doit se taper toutes ces pages, il faut qu’il s’amuse, il faut qu’il ait une récompense ; c’est ma morale personnelle : quelqu’un a acheté le livre, l’a payé avec ses sous, y a investi du temps, il doit s’amuser. Je ne suis pas le seul à le penser, un écrivain aussi attentif au contenu que Bertold Brecht, par exemple, disait que la première fonction sociale d’une oeuvre de théâtre est de distraire. Je trouve que le divertissement est une chose sérieuse. »

 

(L’original: « Quando ho cominciato a scrivere ‘Il visconte dimezzato’, volevo sopratutto scrivere una storia divertente per divertire me stesso, e possibilmente per divertire gli altri; avevo questa immagine di un uomo tagliato in due ed ho pensato che questo tema dell’uomo tagliato in due, dell’uomo dimezzato fosse un un tema significativo, avesse un significato contemporaneo: tutti ci sentiamo in qualche modo incompleti, tutti realizziamo una parte di noi stessi et non l’altra.

 

Per fare questo ho cercato di mettere su una storia che stesse in piedi, che avesse una simmetria, un ritmo nello stesso tempo da racconto di avventura ma anche quasi da balletto. Il modo per differenziare le due metà mi è sembrato che quelle di farne una cattiva e l’altra buona fosse quella che creasse il massimo contrasto. Era una costruzione narrativa basata sui contrasti.

 

Quindi la storia si basa su una serie di effetti di sorpresa: che, al posto del visconte intero, ritorni al paese un visconte a metà che è molto crudele, mi è parso che creasse il massimo di effetto di sorpresa; che poi, ad un certo punto, si scoprisse invece un visconte assolutamente buono al posto di quello cattivo creava un altro effetto di sopresa; che queste due metà fossero egualmente insopportabili, la buona e la cattiva, era un effetto comico e nello stesso tempo anche significativo, perchè alle volte i buoni, le persone troppo programmaticamente buone e piene di buone intenzioni sono dei terribili scocciatori.

 

L’importante in una cosa del genere è fare una storia che funzioni proprio come tecnica narrativa, come presa sul lettore. Nello stessotempo, io sono anche sempre molto attento ai significati: bado a che una storia non finisca per essere interpretata in modo contrario a come la penso io; quindi anche i significati sono molto importanti, però in un racconto come questo l’aspetto di funzionalità narrativa e, diciamolo, di divertimento, è molto importante.

 

Io credo che il divertire sia una funzione sociale, corrisponde alla mia morale; penso sempre al lettore che si deve sorbire tutte queste pagine, bisogna che si diverta, bisogna che abbia anche una gratificazione; questa è la mia morale: uno ha comprato il libro, ha pagato dei soldi, ci investe del suo tempo, si deve divertire. Non sono solo io a pensarla così, ad esempio anche uno scrittore attento ai contenuti come Bertold Brecht diceva che la prima funzione sociale di un’opera teatrale era il divertimento. Io penso che il divertimento sia una cosa seria. »

 

LES ÉCRITS RESTENT... MAIS LESQUELS ?

 

Dans sa pratique de l’écriture sous toutes ses formes, Calvino s’interroge continuellement sur l’importance, l’opportunité, et même l’utilité de ce qu’il écrit, que ce soit pour le public ou que ce soit en rapport avec le processus, le développement général de son oeuvre (ma traduction) :

 

« Depuis quelques temps, je reçois des demandes de collaboration d’un peu partout – quotidiens, hebdomadaires, cinéma, théâtre, radio, télévision –, des demandes plus alléchantes les unes que les autres, tant d’un point de vue financier que d’un point de vue médiatique, et il y en a tant que – partagé entre la peur de me disperser dans des choses éphémères, l’exemple d’autres écrivains plus versatiles et plus féconds qui parfois me donnent envie de les imiter mais qui, en fin de compte, me poussent à m’octroyer le plaisir de ne rien dire pour ne pas leur ressembler, le désir de me recueillir pour penser au « livre », et en même temps le soupçon que ce n’est qu’en se mettant à écrire n’importe quoi, même « au jour le jour », qu’on finit par écrire quelque chose qui reste –, du coup, je finis par n’écrire ni pour les journaux, ni pour sur demande ni pour moi-même. »

 

L’original: « Da un po’ di tempo, le richieste di collaborazioni da tutte le parti – quotidiani, settimanali, cinema, teatro, radio, televisione –, richieste una più allettante dell’altra come compenso e risonanza, sono tante e così presssanti, che io – combattuto fra il timore di disperdermi in cose efimere, l’esempio di altri scrittori più versatili e fecondi che a momenti mi dà il desiderio d’imitarli ma poi invece finisce per ridarmi il piacere di star zitto pur di non assomigliare a loro, il desiderio di raccogliermi per pensare al “libro” e nello stesso tempo il sospetto che solo mettendosi a scrivere qualunque cosa anche “alla giornata” si finisce per scrivere ciò che rimane – insomma, succede che non scrivo né per i giornali, né per le occasioni esterne né per me stesso. »

 

Conférence devant les étudiants de Pesaro, 11 mai 1983, transcrite et publiée dans ‘Il gusto dei contemporanei’, Quaderno no.3, Italo Calvino, Pesaro: 1987, p.9.

 

On ne sait jamais. Tout comme Léautaud ne pensait pas que son Journal serait son œuvre principale et qu’il serait lu encore plus de soixante ans après sa mort, Voltaire tablait sur ses tragédies pour passer à la postérité et n’aurait jamais imaginé que ses contes, et Candide en particulier, seraient ce qu’on retiendrait de lui.

 

Moralité : il ne faut pas trop penser à la notoriété ou à la postérité, et, la vie étant trop courte pour s’emmerder, privilégier ce qu’on a plaisir à écrire, ce qui nous vient naturellement, et laisser tomber ce que nous n’aimons pas écrire, ce qui ne nous convient pas, ce qui est trop artificiel ou fabriqué.

 

©Sergio Belluz, 2019,  le journal vagabond (2018)

 

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08/05/2019
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