Anne Rice : Interview With The Vampire ou Le Portrait de Dorian Gay (01)
Pas mal du tout, Interview With The Vampire (1978), le roman bestseller d’Anne Rice : c’est très bien fait, on reste croché, il y a un ton, comme dirait Léautaud.
À la lecture, je retrouve ces étranges atmosphères gothiques, élégantes et surannées, macabres, « damnées » de Poe (celui de la Chute de la Maison Usher), du Stevenson de Mr Jekyll and Mr Hyde, du Frankenstein de Mary Shelley, et des productions de la Hammer, que les films de Tim Burton ont su pasticher et moderniser à merveille :
« It was very late, after my sister had fallen asleep. I can remember it as if it were yesterday. He came in from the courtyard, opening the French doors without a sound, a tall fair-skinned man with a mass of blond hair and a graceful, almost feline quality to his movements. And gently, he draped a shawl over my sister’s eyes and lowered the wick of the lamp. She dozed there beside the basin and the cloth with which she’d bathed my forehead, and she never once stirred under that shawl until morning. But by that time I was greatly changed.»
Louis, le vampire qui raconte l’histoire, est un homme éduqué, raffiné même, nuancé, ironique quelquefois, sensuel, tout se sent dans sa narration, son vocabulaire, ses tournures, quelque chose de racé, de dandy, d’un peu triste et de nostalgique, comme un homme ou une femme âgée qui raconterait ses amours passées, une passion qu’il/elle regretterait.
L’ambigüité y est omniprésente, d’abord parce que les histoires de vampires codifient la séduction et la perte de la virginité (ou de la pureté), qu’elles font un parallèle entre le Christ et le vampire (dans les deux cas, quelqu’un offre la vie éternelle en faisant boire son sang), mais aussi parce que dans le cas précis de ce roman, on sent la fascination du personnage de Louis pour Lestat, le vampire qui l’a « initié », qui l’a fait devenir un vampire lui-même.
QUAND LESTAT OFFRE DE PARTAGER SA BIÈRE
Il y a des allusions à une sorte de relation homosexuelle, notamment quand Lestat explique à Louis, sa nouvelle recrue, que les vampires, pour ne pas mourir, doivent dormir de jour dans un cercueil et qu’il l’invite à le rejoindre dans le sien.
Ça rend la narration très sensuelle, quelque chose proche d’un pastiche du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde : l’éternelle jeunesse, l’éternelle séduction, l’éternelle beauté et ses côtés sombres, une connivence obligée, une fascination mutuelle entre deux personnes différentes et qui ne s’estiment pas.
Tout est cohérent dans la narration et dans le récit : Louis, le narrateur, est devenu vampire parce qu’il ne voulait plus vivre, traumatisé par la mort de son frère cadet, un exalté de la foi catholique qu’il se reproche d’avoir poussé à la mort en refusant de lui céder la fortune de la famille que le frère cadet voulait utiliser pour évangéliser la France laïque d’après la Révolution (on suppose que Louis est un descendant de colons français enrichis en Louisiane, tout se passe à la Nouvelle-Orléans).
Le vampire Lestat, quant à lui, a besoin de Louis et de sa fortune pour soigner son père et pour vivre dans le luxe.
D’une certaine manière, Louis se donne à Lestat, se damne pour Lestat – le parallélisme entre sa damnation et la sainteté de son frère est évidente – par haine de soi, alors que Lestat fait de Louis un vampire par intérêt et, peut-être, par attirance physique.
À ce propos, les producteurs de l’adaptation cinématographique ont bien fait les choses : pour Lestat le pervers, un Tom Cruise arrogant, pour Louis, le vampire délicat qui se nourrit de sang d’animal pour ne pas tuer d’être humain, Brad Pitt – un couple glamour.
©Sergio Belluz, 2018, le journal vagabond (2018).
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