Gide, élève dissipé de l'Ecole Alsacienne.
« C’est au Jardin des plantes que M. Brunig nous conduisait immanquablement; et immanquablement, dans les sombres galeries des animaux empaillés (le nouveau Muséum n’existait pas encore) il nous arrêtait devant la tortue luth qui, sous vitrine à part, occupait une place d’honneur ; il nous groupait en cercle autour d’elle et disait : « Eh bien, mes enfants. Voyons ! Combien a-t-elle de dents, la tortue ? (il faut dire que la tortue, avec une expression naturelle et comme criante de vie, gardait, empaillée, la gueule entrouverte.) Comptez bien. Prenez votre temps. Y êtes-vous ?»
Mais on ne pouvait plus nous la faire ; nous la connaissions, sa tortue. N’empêche que, tout en pouffant, nous faisions mine de chercher ; on se bousculait un peu pour mieux voir. Dubled s’obstinait à ne distinguer que deux dents, mais c’était un farceur. Le grand Wenz, les yeux fixés sur la bête, comptait à haute voix sans arrêter et ce n’est que lorsqu’il dépassait soixante que M. Brunig l’arrêtait avec ce bon rire spécial de celui qui sait se mettre à la portée des enfants, et, citant La Fontaine :
« Vous n’en approchez point. » Plus vous en trouvez, plus vous êtes loin de compte. Il vaut mieux que je vous arrête. Je vais beaucoup vous étonner. Ce que vous prenez pour des dents ne sont que des petites protubérances cartilagineuses. La tortue n’a pas de dents du tout. La tortue est comme les oiseaux : elle a un bec. »
Alors tous nous faisions : « Oooh ! » par bienséance. »
André Gide, ‘Et si le grain ne meurt’.
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