sergiobelluz

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Le sitcom ou le rire sociologique

Les moments où l’on rit aux éclats sont très importants : on échappe un instant au marasme, au stress, au travail, à tout.

 

C’est aussi ça, le spectacle, un rêve partagé qui, un instant, réunit les gens dans une réalité, et les sort de la leur.

 

En ce sens, les spectacles comiques sont des remèdes qui devraient être remboursés par les assurances.

 

MA SORCIÈRE BIEN AIMÉE (BEWITCHED)

 

Autour de Noël, je revois toujours avec plaisir – et émotion – les épisodes de Ma sorcière bien aimée (Bewitched, ‘ensorcelé’), que je regarde en anglais, dont je redécouvre à chaque fois l’écriture excellente, les scénarios bien travaillés, les ‘non sequiturs’ aussi, des sortes de clins d’oeil (à la mode du temps, aux clichés, aux conventions, aux expressions toutes faites).

 

Les dialogues sont très drôles, jouant quelquefois sur la mauvaise foi, par exemple lorsqu’il y a un problème, et que le publicitaire Darrin Stephens (on prononce « Stivense », et c’est Jean-Pierre, dans la version française) veut en parler avec Samantha qui elle, justement, essaie d’éviter d’en parler, ça donne des choses du style :

 

(Darrin)                   Sam, can we talk in the kitchen ?

(Samantha)             When?

(Darrin)                   Now.

(Samantha)             Now?

(Darrin)                   Yes, now.

 

LES COMING-OUTS FAÇON 60’S

 

De même, c’est une série qui regorge de coming-outs de toutes sortes, le premier secret étant que Samantha est une sorcière, et toute sa famille avec.

 

Quelquefois c’est pris à l’envers, par exemple, la tante Clara, qui perd un peu ses moyens en tant que sorcière. Dans un épisode, elle dit aux parents « mortels » de Darrin qu’elle est une sorcière, mais qu’elle trouve Darrin très bien en tant que mortel.

 

Les parents de Darrin ne s’en étonnent pas, mentionnent un membre de leur famille qui, elle, se prend pour un phare, et qui à chaque tempête monte sur le toit pour guider les marins.

 

Maurice, le père de Samantha, un sorcier  (« a warlock » en anglais), est outré de penser que sa fille a épousé un mortel et a fait un « mariage mixte » (une terminologie qu’on utilisait alors pour les mariages entre Blancs et Noirs). Samantha lui répond que les temps changent, et que maintenant ça se fait dans les meilleures familles.

 

À propos des beaux parents du couple, Phyllis Stephens, la mère du mari de la sorcière, est très bien campée : dès que quelque chose la dépasse, elle prévient qu’elle va avoir « une de ses migraines ».

 

Dans cette série, d’ailleurs, je reconnais certaines manières de parler, les « son of a gun » de Larry Tate (en version française : Alfred Tate), le patron de Darrin, une expression qu’utilisait souvent mon père américain et qui était déjà désuète dans les années 70.

 

De même, Samantha utilise beaucoup d’expressions assez recherchées que j’entendais souvent dans la bouche de ma mère américaine dans les années 80.

 

ENDORA, UNE ICÔNE « CAMP »

 

Évidemment, Endora, à la fois belle-mère et sorcière, est l'icône « camp » par excellence. Agnès Moorehead, fabuleuse comédienne liée au Théâtre d’Orson Welles de Los Angeles, était aussi fille de pasteur presbytérien, et, chez elle, ce mélange de raideur et de snobisme donne quelque chose d’hilarant, accentué en anglais par son accent british très prononcé.

 

Sa manière de ne jamais se rappeler le nom de son gendre (qu’elle écorche en « Darwin », « Dermot », « Donald’s » et même « Dustbin », poubelle !), de s’ennuyer à tous ces trucs rasoirs de mortels (en vrac : le travail, le ménage, la cuisine) et son vocabulaire, du style « Oh darling, but this is sooo passé ! », variante « sooo bourgeois ! », sans compter les récurrents « Where did I go wrong as a mother ?» quand elle est atterrée par le fait que sa fille est en train de passer l’aspirateur...

 

LE BON SITCOM ? UN PORTRAIT DE SOCIÉTÉ

 

Et puis il y a les extraordinaires personnages secondaires, Gladys et Abner Kravitz (en français Charlotte et Albert), les voisins, un vieux couple de retraités. Mme Kravitz, perpétuellement sous calmants, sait que Samantha est une sorcière mais n’arrive jamais à convaincre son mari qui, de toutes façons ne l’écoute pas.

 

Larry Tate, le patron de Darrin, s’ennuie dans son ménage et rabroue régulièrement Louise, sa femme, mais sait flatter quiconque peut lui rapporter du fric.

 

Tout est facétieux, intelligent, fin, et reflète cette époque si optimiste.

 

Une sitcom, certes, mais plus qu’une sitcom : une chronique de ces années-là, brillamment écrite tout en tenant compte du public et de la censure télévisuelle – c’était très osé à l’époque de filmer un couple en train de dormir dans le même lit... –, contournant les problèmes.

 

©Sergio Belluz, 2018, le journal vagabond (2015).

 

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21/12/2018
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