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Léautaud à la vie à la mort.

Des trois récits de Paul Léautaud, c'est à In Memoriam que va ma préférence, avec Amours en deuxième position. Le Petit ami, de l'avis même de Léautaud, était un peu truqué parce que Vallette, du Mercure, lui avait conseillé d'en rajouter un peu (c'était trop court).

 

Mais de Léautaud, ce que je préfère par dessus tout, et que je relis régulièrement, par hygiène littéraire comme par plaisir, c’est son ‘Journal littéraire’, une merveille, et ‘Le Théâtre de Maurice Boissard’, une autre merveille, les deux tenant le coup grâce à la qualité extraordinaire d’une écriture qui se veut sèche et « naturelle » et qui, dans la recherche de cette sécheresse et de ce naturel, acquière une force et un style liés autant à la chasse aux redondances, aux ornements, au verbiage, à la pose, qu’à la recherche incessante  de l’expression la plus juste, la plus simple, la plus « honnête » (dans le sens de la plus proche de ce que Léautaud dirait s’il n’écrivait pas).

 

En revanche, et justement pour ces mêmes raisons, je ne suis pas sûr que, littérairement parlant, le Journal particulier de Léautaud soit si bon. Ce n’est pas tant le côté cru ou salace, mais cette sorte de prose masturbatoire, comme si Léautaud se créait son fantasme ou sa propre excitation au moment de l'écriture, d'où un côté répétitif, artificiel, ennuyeux même.

 

Même remarque pour certains de ses textes (extraits de son ‘Journal littéraire’ et réunis dans ‘Bestiaire’), sur la mort de ses chers animaux, ceux qu’il sauvait d’une mort certaine et qu’il aimait tant, auxquels il s’identifiait peut-être, dans cette tristesse de l’abandon qu’il connaissait si bien lui-même : à la lecture, on sent bien que Léautaud est en train de pleurer au moment où il écrit, et qu'il se laisse prendre par son chagrin, comme un enfant, répétant sa peine plusieurs fois, en une sorte de volupté dans la tristesse, un chagrin masturbatoire, en quelque sorte.

 

François Mauriac, peut-être par malice, mais je ne crois pas, fait cette observation, dans ses Mémoires intérieurs, que Léautaud était absolument fasciné par la mort, c'est à dire par le cadavre qui reste, étudiant le visage du mort sous toutes ses facettes, comme une curiosité d'entomologiste: « Un cœur sensible, ce Léautaud !  Comme il interrogeait les cadavres de ceux qu’il avait connus !  Avec quelle attention maniaque !  Quand il s’agit de son père, cette curiosité glacée fait horreur.  Et pourtant l’étrange, c’est que nous nous détournions du cadavre et que nous ne cédions pas tous à cette hantise de Léautaud – ce vieux Narcisse obstiné qui, penché sur toute dépouille, y cherchait avidement le reflet de sa propre décomposition. ».

 

Léautaud était ému au chevet de Gide, de Valéry ou de son paternel, il en parle dans son Journal, il aimait ces hommes qui soudain ne sont plus. La remarque de Mauriac est empreinte de sa propre préoccupation de catholique janséniste à propos de la mort et de sa curiosité vis-à-vis d'un vrai matérialiste dans le sens métaphysique du terme.

 

Et Léautaud parle de ça dans son journal, au sujet de la mort qui commence à faire son travail de décomposition, il observe ça de manière presque clinique, en matérialiste ne croyant ni à enfer ni à paradis, ne croyant qu'à ce corps qui un jour disparaitra, « et puis plus rien » (il me semble qu'il écrit ça en ces termes).

 

C’est qu’on peut être matérialiste au sens religieux ou métaphysique du terme et être d'autant plus sensible au temps qui passe, puisqu'il n'y a rien après.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2016)

 

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19/04/2016
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