Notes grecques (01): Revoir Athènes et revivre
Extraordinaire de retrouver cette sensation d’enfance, une sensation si forte qui avait submergé mes neuf ans, celle de voir cette ville aimée, une de mes villes, Athènes, et de la voir de haut – à neuf ans, depuis l’Acropole, aujourd’hui, à cinquante-six ans, depuis la grande terrasse du sixième étage d’un élégant immeuble du centre, une terrasse orientée est-ouest, depuis laquelle on voit, à droite, l’Acropole, comme une couronne de sagesse que les siècles ont préservée sinon confirmée, et, derrière, au nord, le Lycabette et son église Saint-Georges, avec, partout autour, cette ville qui ne finit jamais.
C’était ce qui m’avait frappé, enfant, venant de ce petit Lausanne où je suis né. Tel un Napoléon en culottes courtes qui se serait écrié : « Du haut de ces pyramides des tas de siècles vous contemplent », je ne me lassais pas, depuis l’Acropole, de porter mon regard de tous côtés en répétant, fasciné : « Mais cette ville ne finit jamais ! »
Je n’étais pas conscient, alors, du double sens du verbe finir, et, aujourd’hui, me frappent aussi cette pérennité d’Athènes, cette solidité malgré les péripéties, malgré les guerres, malgré la crise.
Un monde antique solidement ancré dans le présent, un monde antique aussi orgueilleux d’être grec aujourd’hui qu’il l’était il y a plus de vingt-cinq siècles, un monde antique sensuel, viveur, narquois, à peine bridé par l’orthodoxie et les popes à chapeaux carrés qui se baladent partout, un monde antique superstitieux qui continue à se prévenir du mauvais œil par tous les moyens, invoquant les saints comme autant de dieux...
Un monde antique avec sa mythologie moderne aussi – Melina Mercouri, l’actrice, et la ministre de la culture, dont j’ai vu le buste fleuri et souriant, un brin moqueur, sur la bruyante avenue Amalias, qui mène à la place Syntagma, ou encore le beau-frère du richissime armateur Onassis, le non moins richissime Stavros Niarchos, dont la fondation, à l’architecture signée Renzo Piano, vient d’ouvrir sur l’avenue Syngrou, celle qui mène au Pirée, aux bateaux, à la mer.
Un monde antique et moderne, joueur, roublard, commerçant, volubile, dont la si vieille langue, d’une magnifique géométrie dans ses majuscules, continue, racée, sonore, à lancer au monde ses belles voyelles ouvertes, ses zozotements, ses ksi et ses psi, ses alpha et ses oméga, ses omicron et ses upsilon, ses ‘polikalà’ et ses ‘malàkas kai misòs’, dans la rue, en voiture, au resto ou en boites, faisant abstraction de cette crise stupide qui finira bien par passer, comme le reste, et qui n’arrivera jamais à faire plier cette ville qui en a vu bien d’autres.
Ce pays continental, émietté sur sa multitude d’îles, comme autant d’atomes d’une civilisation millénaire dont nous ne sommes, barbares occidentaux, que des avatars modernes, le terme de ‘civilisation occidentale’ englobant à la fois l’origine et son développement ultérieur, plus ou moins réussi.
©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017).
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