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En musique, les minimalistes Serge Vuille et Steve Reich en font un max.

Ce qu’il y a de bien avec la musique contemporaine présentée dans un cadre autre que le circuit des salles de concerts traditionnelles, c’est que les lieux étant sans connotation particulière – en l’occurrence l’ancien cinéma de Bourg à Lausanne, devenu café-théâtre et scène de rock –, et les pièces étant nouvelles ou leurs partitions méconnues, cela permet à un public varié, nombreux (une salle archipleine), curieux et jeune (25 ans en moyenne) d’écouter et d’apprécier les œuvres sans a priori aucun, l’écoute régulière de world music (africaine et afro-cubaine en particulier) ou de musique techno dans ses différentes variantes (‘trance’, ‘jungle’, ‘tribal’…), qui ont un fonctionnement similaire, leur permettant d’entrer peut-être plus facilement dans la musique dite minimaliste.

 

Ce qu’il y a de bien aussi, c’est que les jeunes musiciens qui interprètent ce répertoire, parce qu’ils créent des œuvres de leur temps, des œuvres qui ne sont pas ancrées dans une longue tradition, et parce qu’ils le font non pas déguisés ou engoncés dans des smokings d’un autre âge, mais en jeans, baskets, tee-shirts ou pulls marins, ont toute liberté pour laisser éclater sans crainte leur énergie, leur créativité et leur talent.

 

C’est ce que je me disais, ce mercredi 15 mars 2017, en assistant – et en faisant remonter la moyenne d’âge –, au fabuleux concert du collectif ‘WeSpoke’ (la contraction de ‘we speak’, on en parle, et de ‘bespoke’, sur mesure), en collaboration avec la classe de percussions de la Haute École de Musique de Lausanne (HEMU) dirigée par le brillant percussionniste et compositeur suisse Serge Vuille, qui présentait au Café-Théâtre de Bourg sa création ‘Bristol Surprise (2017) ainsi que ‘Drumming’ (1971) du compositeur américain Steve Reich.

 

Un grand bravo à Serge Vuille pour la cohérence d’un programme qui se donnait pour ambition, à travers ces deux œuvres, de faire connaître, à cinquante ans d’intervalles, deux points de vue sur un aspect fondamental de la musique contemporaine, en particulier de la musique dite ‘minimaliste’ : l’utilisation de la répétition d’une même séquence musicale avec variations, ce qui a permis à la fois de revenir à la mélodie après des années de musique atonale et de renouveler des pratiques musicales très anciennes, que ce soient les séquences liturgiques – l’italien Luciano Berio (1925-2003) s’y est aussi illustré dans ses ‘Sequenze’ – ou les variations sur un même thème (les Variations Goldberg de Bach, par exemple), ou encore les nombreuses reprises da capo des compositeurs du XVIIIe.

 

« Notre principe commercial : faire du neuf avec du vieux », écrivait très sincèrement Satie dans L’Esprit musical, une conférence donnée à Bruxelles et Anvers en 1924, ce Satie dont les célèbres ‘Gymnopédies’ pourraient aisément figurer dans une sorte de minimalisme avant la lettre, au même titre que Ravel et son Boléro (1928), qui fonctionne aussi par répétition et par variation. Mais c’est à partir des années 1970 que le minimalisme a donné ses œuvres les plus célèbres et les plus fascinantes, la musique du film ‘La Leçon de piano’ (1993) par le compositeur Michael Nyman, les opéras ‘Einstein On The Beach ‘ (1976) de Philip Glass ou ‘Nixon in China (1987) de John Adams, ou les extraordinaires souvenirs ferroviaires de Steve Reich dans ‘Different Trains’ (1988), des pièces puissamment lyriques, énergiques, envoûtantes.

 

'BRISTOL SURPRISE' DE SERGE VUILLE (2017): UN AUTRE SON DE CLOCHE

 

Le programme commençait par la création du magnifique ‘Bristol Surprise (2017) de Serge Vuille, une composition pour 12 percussionnistes, bande et vidéo, inspirée d’une tradition anglaise : la sonnerie de cloches manuelle, celles de la Cathédrale Saint-Paul, de Londres, où 12 sonneurs, qui suivent une partition chiffrée très précise, tirent à intervalles réguliers la corde de la cloche dont ils sont responsables.

 

Les musiciens du collectif ‘WeSpoke’, répartis dans la salle avec chacun un rectangle de métal de différente tonalité, répètent d’abord l’un après l’autre à haute voix un nombre qui correspond au chiffrage de la partition anglaise des sonneurs de Saint-Paul, les chiffres scandés se répondant – un effet magnifique qui rappelle les « One, two, three, four/One, two, three, four, five, six/One, two, three, four, five, six, seven, eight » du début d’ ‘Einstein On The Beach ‘ de Philip Glass.

 

En parallèle, une vidéo est projetée où l’on voit et où l’on entend les cloches de Saint-Paul, le son grave d’une des cloches, telle une basse continue, rythmant les autres en une pulsation régulière sur laquelle s’élèvent les sonorités des autres. Peu à peu, les musiciens de la salle sonnent de manière répétitive leur propre cloche, d’une note différente chacune, tout en répétant le chiffre qui leur est attribué, le tout répondant au son des cloches de Saint-Paul projetées en parallèle.

 

Progressivement le son des cloches sur l’écran s’amenuise jusqu’à disparaître, et les cloches de la salle prennent le relai, évoquant celles de l’écran, qui, peu après reprennent et accompagnent en un mouvement crescendo le son des cloches de la salle, jusqu’au moment où la vidéo et le son ralentissent et se décomposent majestueusement pour revenir peu à peu à la pulsation originelle et arriver au final sur les coups de la « basse continue ».

 

Une extraordinaire et superbe mise en abyme, de magnifiques effets d’échos et de répétition, sonore et visuelle, les cloches répondant aux cloches et les sonneurs aux sonneurs, et un très bel hommage à cette musique des cloches d’église, magiques, étranges même, et pourtant si familières.

 

'DRUMMING' DE STEVE REICH (1971), POUR RESTER DANS LE COUP

 

Dans la deuxième partie, Serge Vuille intervient cette fois en tant que percussionniste dans les différents mouvements du célèbre ‘Drumming’ de Steve Reich, une œuvre extraordinaire en quatre parties qui, adroitement articulées par de discrètes transitions, forment un tout continu, le premier mouvement comprenant quatre paires de bongos, le second trois marimbas et deux voix de femme, le troisième trois glockenspiels, un sifflet et un piccolo et le quatrième l’ensemble au complet.

 

C’est la version courte d’environ cinquante minutes qui a été jouée, et qui commence par une cadence simple et régulière sur un premier bongo, auquel, peu à peu, s’ajoutent les autres bongos, les sons graves faisant office à nouveau de basse continue, les sons aigus répondant aux graves, avec des accélérations et des ralentissements, tout en gardant la cadence, sur le modèle des percussions africaines, les nouveaux sons s’ajoutant aux anciens, et se démarquant du rythme de base pour créer de magnifiques syncopes

 

Dans le deuxième mouvement entrent les marimbas – un instrument très apprécié de Steve Reich, pour lequel il a aussi composé les superbes ‘Piano Phase’ (1967), ‘Six marimbas‘ (1993),  ‘Nagoya Marimbas’ (1994) et ‘Mallet Quartet’ (2009) –, alors que les tambours peu à peu disparaissent, en une discrète transition musicale : à nouveau, sur une base grave s’élèvent les notes plus aigües des autres marimbas, puis seule reste la pulsation des notes graves de la première marimba, avant que d’autres percussionnistes entrent en scène et se rajoutent à la musique.

 

Deux chanteuses entrent à leur tour et se joignent aux marimbas. Les voix crescendo decrescendo avec micro résonnent comme une percussion additionnelle, avec, sur une seule note, des séquences répétitives, qui apparaissent et disparaissent, comme une sorte de scat, un ‘tululu, tululu’ qui survole et ponctue les marimbas. Le mouvement s’achève sur les sons les plus aigus, la mélodie sur cinq notes disparaissant peu à peu, en une transition vers le troisième mouvement et l’entrée des glockenspiels, à quoi s’ajoutent peu à peu les sifflements rythmiques des chanteuses et le piccolo.

 

Le quatrième et dernier mouvement, reprend le rythme du tout début, avec tous les instruments cette fois, en un crescendo général jusqu’au paroxysme rappelant le fameux final du Boléro de Ravel, mais aussi les célèbres ‘strette’ des fins d’actes rossiniens. Le tout se conclut abruptement par un magnifique silence qui, après cette œuvre intense et envoûtante, cause un tonnerre d’applaudissement, ajoutant quelques percussions de plus à une soirée menée tambour(s) battant(s).

 

Merci à Serge Vuille et à toute son équipe qui ont fait de ce concert un événement : Fanny Anderegg, Julien Annoni, Camille Emaille, Constance Jaermann, Katelyn King, Julien Mégroz, Olivier Membrez, Mathis Pelaux, Lino Perdrix, Sacha Perusset, et Maruta Staravoitava.

 

Un grand merci aussi en passant à la direction du Café-Théâtre de Bourg de proposer cette résidence de musique contemporaine au collectif ‘WeSpoke’ qui a permis aussi d'écouter Pascal Auberson présenter une nouvelle création pour quatre percussionnistes et un piano à queue ouvert : quatre mains dedans et quatre dehors. Le collectif présente aussi deux pièces performatives presque silencieuses de Mark Applebaum et Cathy van Eck.

 

Lors d'un autre concert, et en collaboration avec le festival N/O/D/E, ‘WeSpoke’ a encore joué avec les notions d’électronique et d’analogique, équipés des instruments ‘faits maison’ de Simon Loefller et I-lly Cheng – respectivement machines à diapasons et bols d’eau résonnants.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2017).

 

 

2008 Vuille Serge par Davide Gostoli.jpg

 

Photo : Serge Vuille ©Davide Gostoli



20/03/2017
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