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Hommage à Edmund White, mémorialiste queer (5): ‘Inside A Pearl ’ (2009)

Inside A Pearl’, ce livre délicieux, en particulier pour les francophones n’a toujours pas été traduit en français et on se demande bien pourquoi, à moins que ce ne soit pour des questions légales, les personnes mentionnées par Edmund White, ou leurs héritiers, s’opposant peut-être à la publication du livre ?

 

Tout en s’amusant d'un certain regard américain sur les idiosyncrasies françaises, on y croise aussi du très beau linge et tout ce que la culture française de cette époque-là a suscité de personnalités, d’événements, de controverses : Kundera, Foucault, Defert, Guibert, Lindon, Barbedette, Bianciotti, Rinaldi, Matzneff, Hocquenghem, Kristeva, Sollers...

 

Cette fois c’est son long séjour dans le Paris des années 80 en tant que correspondant pour le magazine Vogue qu’Edmund White retrace dans ces nouveaux mémoires intitulés Inside A Pearl : My Years in Paris (London : Bloomsbury, 2014) qui, chronologiquement, fait suite à City Boy (Paris : Plon, 2010), ses mémoires newyorkaises des années 1960-1970.

 

BABAR ET LE TOUT PARIS

 

Il faut dire que White est entré de plain-pied dans tout ce qui comptait à Paris grâce à une amie, l’élégante Marie-Claude de Brunhoff, qui, en tant que critique littéraire pour L’Express, Le Monde et La Quinzaine Littéraire, prospectrice (« literary scout ») pour différentes maisons d’éditions et première femme du créateur de Babar, possédait un précieux carnet d’adresses, connaissait un peu tout le monde, avait ses entrées partout et parlait d’une voix enfumée qui faisait qu’au téléphone on la prenait pour Jeanne Moreau, ce qui ouvrait d’autres portes encore.

 

White en fait un portrait extrêmement précis, au moral comme au physique, et c’est toute une personnalité, toute une intelligence, toute une élégance, tout un charme qu’on retient, quelque chose qui ressemble beaucoup à cette grâce irrésistible qu’on perçoit dans les textes et les interviews de Louise de Vilmorin, par exemple.

 

Au physique :

 

« She wasn’t tall, but she held herself as she were. She had a white ivory cigarette holder into which she screwed one cigarette after another. (...) Marie-Claude was beautiful, with big, wide-awake eyes, a low voice, layers of pale clothes that billowed around her in floating panels, shoes that were immaculate and of a startling red. »

 

(Ma traduction): « Elle n’était pas très grande, mais elle se tenait comme si elle l’était. Elle avait un fume-cigarette en ivoire blanc dans lequel elle vissait une cigarette après l’autre. (...) Marie-Claude était magnifique, avec de grand yeux éveillés, une voix grave, des couches de vêtements clairs qui, tels des rubans, flottaient autour d’elle, des chaussures immaculées et de couleur rouge pétant. »

 

Au moral:

 

« She even had a very European way of being tired. She would say, « But we’re all terribly tired. Everyone is worn out.” It wasn’t clear if she meant that the troubled politics of recent weeks had exhausted everyone, or whether in these impoverished latter days everyone we knew had to work like coalminers to stay afloat. »

 

(Ma traduction): « Elle avait même une façon européenne d’être fatiguée. Elle disait, ‘ Mais on est tous terriblement fatigué. Tout le monde est éreinté.’ On ne savait pas si elle parlait de la politique un peu agitée des semaines précédentes, qui épuisait tout le monde, ou du fait qu’en cette période d’appauvrissement tous ceux que nous connaissions devaient travailler comme des ouvriers à la mine pour pouvoir surnager. »

 

Et classe jusqu’à la fin:

 

« Then one year her cancer, which had started in her breasts, came back. (...) “C’est bête,” she said, “so stupid”, almost as if it was a trick in bad taste that fate had pulled on her – or did she mean it was a bêtise that she’d committed?

 

I visited her later in the hospital. Though her hair had gone, she’d arranged some terrific turbans out of gaudy silks and satins tied with a flourish worthy of a maharani. She was gallant to the end. »

 

(Ma traduction): « Et puis une année son cancer, qui avait commencé au sein, a récidivé. (...) ‘C’est bête’, elle avait dit, ‘si stupide’, comme s’il s’agissait d’un tour de magie de mauvais goût que le destin lui avait fait – ou est-ce qu’elle voulait dire que c’était une bêtise de s’être fait avoir ?

 

Je lui avais rendu visite à l’hôpital, plus tard. Même sans cheveu, elle s’était fait des turbans extraordinaires avec des étoffes de soie et de satin tape-à-l’oeil nouées avec un art digne d’une maharani. Elle a été vaillante jusqu’au bout. »

 

PARLEZ-VOUS FRANÇAIS ?

 

Edmund White est évidemment tout de suite confronté aux subtilités du français qu’il doit apprendre au quart de tour (il avait bluffé pour avoir son contrat chez Vogue) :

 

« MC (Marie-Claude) had been so generous to me, inviting me to her table at least once a week, introducing me to le tout Paris, gently correcting my mistakes in French (“You go chez le dentiste, not au dentiste. You never wish someone a good evening, une bonne soirée – it sounds so vulgar. And you offer someone a drink, you don’t buy them one like you do in America.”) »

 

(Ma traduction): « MC (Marie-Claude) avait été si généreuse avec moi, m’invitant à sa table au moins une fois par semaine, me présentant le tout Paris, corrigeant mes erreurs de français (‘On va chez le dentiste, pas au dentiste. On ne souhaite jamais une bonne soirée à quelqu’un, ça fait vulgaire. Et on offre un verre, on ne paie pas des verres comme vous faites en Amérique.’) »

 

Il s’amuse à la fois de sa gaucherie linguistique, de l’importance que les Français accorde à leur langue, et des conventions bourgeoises :

 

« I remember once saying la mariage and a five-year-old had corrected me, « But it’s le mariage”. Quickly, her mother, blushing, whispered to the little girl, “Don’t correct Monsieur, He’s a professor. »

 

(Ma traduction) : « Je me souviens d’une foi où j’avais dit la mariage, et une petite de cinq ans m’avait corrigé, « Mais c’est le mariage ». Aussitôt, sa mère, rougissante, avait murmuré à la petite fille : « Ne corrige pas Monsieur, c’est un professeur. »

 

Pour pouvoir saisir plus facilement ce qu’on lui dit, il choisit ses amis, plutôt des femmes – « Les femmes, surtout celles de la bonne bourgeoisie, parlaient plus clairement que leurs équivalents mâles ou plus jeunes » – et apprend en passant toutes les tournures quelquefois très drôles pour éviter d’appeler un chat un chat :

 

« The concierge in our building often referred to my new partner Michael as my son (« votre fiston est déjà sorti”); older gay men called their companions their “nephews.” One time I was with Bernard when he ran into a tante (queen) who said, “Do you know my nephew?”

“Yes,” Bernard replied, “he was my nephew last year.” »

 

(Ma traduction): « Le concierge de notre immeuble parlait souvent de mon nouveau compagnon Michael comme de mon fils (« votre fiston est déjà sorti”); les gays plus agés appelaient ‘neveu’ leur compagnon plus jeune. Une fois, j’étais avec Bernard quand nous avons croisé une tante qui avait dit: ‘Est-ce que vous connaissez mon neveu?” ‘Oui,’ avait répondu Bernard, ‘l’année passée c’était le mien’. »

 

DES VACANCES... OU PAS

 

Au début, White, dans son mélange nuancé d’introspection, d’honnêteté intellectuelle, d’opportunisme et d’ambivalence, s’interroge sur ses motivations réelles pour ce séjour parisien :

 

« Sure, I’d won a Guggenheim and a small but regular contract with Vogue to write once month on cultural life. Right now, I was writing a piece about why Americans liked Proust so much. Back in America I’d worked around the clock heading the New York Institute for the Humanities and teaching writing at Columbia and New York University. I never seemed to have time for my own writing. When I was president of Gay Men’s Health Crisis, the biggest and oldest AIDS organization in the world, I hadn’t liked myself in the role of leader; I was power mad and tyrannical, much to my surprise, always ordering people to shut up and vote. And secretly I’d wanted the party to go on and thought that moving to Europe would give me a new lease on promiscuity. Paris was meant to be an AIDS holiday. After all, I was of the Stonewall generation, equating sexual freedom with freedom itself. But by 1984 many gay guys I knew were dying in Paris as well – there was no escaping the disease. »

 

(Ma traduction): « Bien sûr, j’avais obtenu une bourse Guggenheim et un petit contrat fixe avec Vogue pour un article mensuel sur la vie culturelle. En ce moment, j’écrivais un texte sur les raisons pour lesquelles les Américains appréciaient autant Proust. Aux États-Unis, j’avais travaillé comme un fou en tant que responsable du  New York Institute for the Humanities et j’enseignais l’écriture à l’Université de Columbia et à celle de New York.  Je ne trouvais pas de temps pour écrire. Quand j’étais président de la Gay Men’s Health Crisis, la plus grande et la plus ancienne des organisations anti-SIDA, je ne me sentais pas à l’aise dans ce rôle de leader, à ma grande surprise, j’étais devenu autoritaire et tyrannique, je leur intimais l’ordre de la boucler et de voter. Et, secrètement, je voulais continuer la fête et pensais qu’un séjour en Europe me donnerait une rallonge dans la débauche. Paris, ce devait être des vacances loin du SIDA. Après tout, j’étais de la génération Stonewall, pour qui la liberté sexuelle, c’était la liberté tout court. Mais dès 1984 de nombreux gays de mes connaissances étaient en train de mourir à Paris, aussi – impossible d’échapper à la maladie. »

 

MICHEL FOUCAULT

 

Edmund White fait un très beau et très touchant portrait de Michel Foucault, qu’il avait déjà eu l’occasion de connaître au New York Institute for the Humanities où le philosophe était venu accompagner son compagnon Daniel Defert invité pour un séminaire :

 

« Foucault spoke English through an act of will – I don’t think he’d ever studied it and he wasn’t worried by his very strong accent. I thought anyone as smart as he would of course speak English – or any other language he set his mind to. He was surrounded with beautiful ephebes such as Hervé Guibert, Mathieu Lindon, and Gilles Barbedette, but sexually his type was burly and macho. But he never thought the sexual identity of someone was all that revealing, and as his disciple I mustn’t pretend I’m saying something profound about him by talking about his kinkiness. He was both fiery and sweet, a rare combination of traits. He showed me that you can be passionately aggressive about advancing your views, arguing your position, but in the bosom of your friends mild and even humble, certainly sweet. (...) Toward the end of his life, Foucault thought the basis of morality after the death of God might be the ancient Greek aspiration to leave your life as a beautiful, burnished artifact. Certainly in his case his gift for friendship, his quick sympathy, his gift for paradox, his ability to admire left his image as a man, as en exemplary life, highly burnished. The people who said his promiscuity or his death from AIDS diminished him were just fools. »

 

(Ma traduction) : « Foucault parlait l’anglais par un acte de pure volonté – je crois qu’il ne l’avait jamais étudié et son fort accent n’était pas un sujet de préoccupation. Je pensais que quelqu’un d’aussi malin que lui parlerait forcément l’anglais – ou n’importe quelle autre langue s’il s’y mettait. Il était entouré de superbes éphèbes tels Hervé Guibert, Mathieu Lindon et Gilles Barbedette, pourtant d’un point de vue sexuel, sa préférence allait aux baraqués et aux machos. Mais il a toujours pensé que l’identité sexuelle n’était pas si significative que ça, et, en tant que disciple, je ne pense pas affirmer quelque chose de profond en parlant de ses préférences. Il était à la fois fougueux et tendre, une combinaison rare. Il m’avait démontré qu’on pouvait être passionnément agressif pour défendre ses opinions, ou pour affirmer une position, mais qu’auprès de ses amis on pouvait être réservé, et même humble, et vraiment doux. (...) Vers la fin de sa vie, Foucault pensait qu’après la disparition de Dieu, la base de la morale pourrait bien être l’aspiration des Grecs antiques à se dépouiller de sa vie comme on le ferait d’un magnifique outil usé jusqu’à la corde. En ce qui le concerne, c’est sûr que son dévouement pour l’amitié, son empathie, son don du paradoxe, sa capacité à admirer laisse l’image d’un homme qui est allé jusqu’au bout et d’une vie exemplaire pleinement vécue. Les gens qui ont affirmé que la débauche ou sa mort par le SIDA l’avaient diminué n’ont rien compris. »

 

LES ANNÉES SIDA

 

C’est qu’on est au tout début de l’épidémie du SIDA qui emportera Foucault quelques années plus tard. Lors d’une nouvelle rencontre à Paris, White évoque le sujet lors d’une conversation :

 

« Michel Foucault, for one, had welcomed me warmly during a brief visit in 1981, but he and Gilles Barbedette, a mutual friend and one of my first translators, had both laughed when I told them about this mysterious new disease that was killing gay men and blacks and addicts. “Oh no,” they said, “you’re so gullible. A disease that only kills gays and blacks and drug addicts? Why not child molesters, too? That’s too perfect !” They both died of AIDS, Foucault first, then Barbedette, I helped Foucault’s surviving partner, Daniel Defert, start up the French AIDS organization AIDES. »

 

(Ma traduction): « Michel Foucault, le premier, m’avait chaleureusement accueilli pendant une courte visite en 1981, mais lui et Gilles Barbedette, un ami commun et un de mes premiers traducteurs, avaient éclaté de rire quand je leur avais parlé de cette maladie mystérieuse qui tuait les gays, les Noirs et les drogués. « Oh non », ils me disaient, « tu es trop crédule. Une maladie qui ne tue que les gays, les Noirs et les drogués ? Pourquoi pas les pédophiles pendant qu’on y est ? C’est trop parfait ! » Les deux sont morts du SIDA, d’abord Foucault, puis Barbedette. J’ai aidé Daniel Defert, le compagnon de Foucault, à mettre sur pied AIDES, la version française d’AIDS. »

 

À ce propos, la description par Edmund White, lui-même séropositif, de son compagnon Herbert en phase terminale de SIDA, avec qui, sur sa demande, White fait un dernier voyage à Agadir où il mourra dans un hôpital de fortune, est un des passages les plus touchants et les plus poignants du livre.

 

Incapable de supporter la dureté d’un quelconque vêtement, Herbert ne porte plus que des djellabas. Il ne retient plus sa nourriture, vomit partout, et somnole la majeure partie du temps. Les deux se retrouvent à parcourir le désert en voiture dans une fuite en avant voulue par le mourant, dont le corps sera rapatrié plus tard, laissant White dans un choc, une souffrance et un désarroi terrible dont il mettra beaucoup de temps à se remettre.

 

LE TOUT-PARIS GAY (BIANCIOTTI, RINALDI, MATZNEFF, HOCQUENGHEM, SCHÉRER...)

 

Inside A Pearl évoque évidemment toute l’intelligentsia gay parisienne de l’époque, et notamment l’écrivain argentin Hector Bianciotti et le redoutable critique littéraire Angelo Rinaldi :

 

« Hector had begun to write in French, not Spanish, a few years previously. People said he was helped by his lover Angelo Rinaldi, a Corsican novelist and the extremely acerbic critic for L’Express. (...) I would often see Angelo, always grimacing, each time his hair a color never encountered in nature, headed to his chambre d’assignation on the Île Saint-Lois, usually in the company of a teenager he’d met at a gym during wrestling practice. »

 

(Ma traduction): « Quelques années auparavant, Hector avait commencé à écrire en français, pas en espagnol. Les gens disaient qu’il était aidé par son amant, Angelo Rinaldi, un romancier corse, et critique mordant pour L’Express. (...) Je voyais souvent Angelo, toujours grimaçant, avec à chaque fois une couleur de cheveux impossible à trouver dans la nature, se dirigeant à sa chambre d’assignation à l’Île Saint-Louis, accompagné, en général, par un adolescent qu’il avait rencontré à la gym, pendant l’entrainement de lutte libre. »

 

On y évoque aussi Gabriel Matzneff :

 

« Matzneff came from a White Russian family and started riding horses at age ten. He majored in classics and studied philosophy with Gilles Deleuze and Vladimir Jankélévitch. He became close to President Mitterrand, who wrote an article testifying to their friendship (imagine Bush or even Obama bearing witness to a friendship with an artist, much less a notorious pedophile). »

 

(Ma traduction): « Matzneff venait d’une famille de Russes Blancs et avait commencé l’équitation à dix ans. Il avait fait ses humanités et avait étudié la philosophie avec Gilles Deleuze et Vladimir Jankélévitch. Il était devenu proche du Président Mitterrand, qui avait écrit un article sur leur amitié (imaginez Bush ou même Obama témoignant de leur amitié pour un artiste, et un pédophile notoire qui plus est). »

 

... et Guy Hocquenghem:

 

« Hocquenghem was usually with René Schérer, his high school philosophy teacher whom he’d started having an affaire with when he was sixteen and Schérer was in his forties. Twenty years later, they were still close friends and they somewhat programmatically called themselves lovers. Schérer was yet another apologist for pedophilia. He was the younger brother of the filmmaker Éric Rohmer. »

 

(Ma traduction) : « Hocquenghem était en général en compagnie de René Schérer, son professeur de philosophie au lycée, avec qui il avait eu une histoire d’amour quand il avait seize ans alors que Schérer en avait dans les quarante et des poussières. Vingt ans plus tard, ils étaient encore proches et ils se définissaient, un peu de manière militante, comme des amants. Schérer était un autre apôtre de la pédophilie. C’était le frère cadet du cinéaste Éric Rohmer. »

 

HOUELLEBECQ OU LE CAMPING DANS L’ÉVOLUTION DES MOEURS

 

En observateur des moeurs, Edmund White relève certaines particularités françaises et leur impact sociologique et sexuel :

 

« I’ve always suspected these French campings were witness to the hottest teenage sex in the country. While the parents from France and Germany and Holland reclined in plastic and aluminum chairs or cooked wieners on the portable grill, the adolescent girls and boys ran off together, excited by a sudden lack of supervision and the randy exoticism of all this freedom and all these nationalities. In fact, the now middle-aged novelist Michel Houellebecq, author most famously of The Elementary Particles (Les Particules élémentaires), and the great white hope of the French novel, has explored in the bitterest terms the laxity of his parents’ generation – the soixante-huitards (sixty-eighters), with their sun-battered faces, receding hairlines, and gray ponytails (whose tents and trailers you see in campings all over France) – and he blames them for the moral fecklessness of his own generation. As Houellebecq recounts it, the campings were notorious wifes-swapping (échangiste) venues – and at least as he’d like to tell it, the reason for so many divorces and fractured families and fucked-up offspring in France. »

 

(Ma traduction) : « J’ai toujours pensé que ces campings français devaient être le terrain parfait et torride pour la vie sexuelle des adolescents. Pendant que les parents originaires de France, d’Allemagne, de Hollande se vautraient dans des chaises de plastique et d’aluminium, ou faisaient griller des saucisses sur un grill portable, les ados filles et garçons partaient ensemble, excités par cette soudaine absence de surveillance et par l’exotisme lubrique de cette liberté et de toutes ces nationalités. D’ailleurs Michel Houellebecq, le romancier aujourd’hui cinquantenaire, auteur célèbre de Les Particules élémentaires, et grand espoir blanc du roman à la française, a exploré en termes les plus amers le laxisme de la génération de ses parents – le soixante-huitards, visage marqué par le soleil, calvitie avancée, queue-de-cheval grise (celui dont on voit les tentes et les caravanes dans les campings partout en France) – et il lui met sur le dos la mentalité irresponsable de sa propre génération. Vus par Houellebecq, les campings étaient des lieux notoires d’échangisme – et, selon son point de vue, une des causes de nombreux divorces, de familles en lambeau et d’une génération suivante complètement larguée. »

 

JULIA KRISTEVA ET PHILIPPE SOLLERS

 

On aimera aussi les quelques coups de griffes bien sentis – et magnifiquement exprimés – d’Edmund White, qui, dans sa veine comparatiste entre les États-Unis et la France, évoque aussi le féminisme à densité variable de Julia Kristeva, qu’il a eu l’occasion de rencontrer à l’Île de Ré :

 

« She wore big barbaric jewelry and designer clothes and was a feminist only in America, at Columbia, where she often taught. In France, she was way beyond anything so primitive as feminism (too seventies) ! »

 

(Ma traduction) : « Elle portait de gros bijoux primitifs et des habits de marque et n’était féministe qu’en Amérique, à l’Université de Columbia. En France, elle était bien au-dessus de quelque chose d’aussi primitif que le féminisme (trop seventies) ! »

 

Quant à son mari Philippe Sollers, dont White relève la suffisance toute française à propos de tout et de rien, mais en particulier au sujet de Jean Genet (White est l’auteur d’un Jean Genet (1983) devenu une référence) –, il n’allait pas laisser passer la chose :

 

« When Genet’s The Balcony was presented at the Odéon, he participated in a colloque. Sollers’s stance was that he alone had actually read Genet and that everyone else was talking through his or her hat (I’d heard him adopt a similar strategy about Céline and Sade). If anyone dared to challenge him, he drew on his cigarette and exhaled a cloud of smoke, smiling all the while a big, mocking smile. »

 

(Ma traduction) : « Quand Le Balcon de Genet a été présenté à l’Odéon, il participait à un colloque. La position de Sollers c’était que lui seul avait vraiment lu Genet et que tous les autres disaient n’importe quoi (je l’avais vu adopter la même stratégie au sujet de Céline et de Sade). Si quiconque s’avisait de le contredire, il tirait sur sa cigarette et exhalait un nuage de fumée avec un grand sourire ironique. »

 

©Sergio Belluz, 2019, le journal vagabond (2019)

 

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23/08/2019
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