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À propos de 'Providence' d’Olivier Cadiot au Théâtre de Vidy à Lausanne.

L’adaptation de textes littéraires pour la scène n’est pas toujours facile, tant chacun de ces deux modes d’expression a ses spécificités, qui ne passent pas forcément avec bonheur de l’un à l’autre.

 

Olivier Cadiot, auteur, entre autres, d’une passionnante 'Histoire de la littérature récente' (Paris : P.O.L., 2015), est un écrivain très particulier, passionné de Barthes et de la mise en abyme littéraire et linguistique – comme peut l’être un Pascal Quignard –, mais aussi indépendant de toute école tout en se rattachant, dans sa manière, dans sa fantaisie, dans ses digressions, dans son sens de l’observation, dans son style sec et précis, à une lignée qui irait du Tallemant des Réaux des 'Historiettes' au Léautaud des 'Chroniques de Maurice Boissard' et au Jouhandeau de 'Chaminadour'.

 

C’est tout le mérite de cette magnifique production de la Comédie de Reims, dans une mise en scène simple et ingénieuse de Ludovic Lagarde et dans une interprétation subtile du fabuleux comédien Laurent Poitrenaux d’arriver à restituer la fantaisie et la profondeur de ce très beau texte, son humour, sa clarté aussi : ici, pas de jargon, pas de cliché, pas de boursouflures, pas d’emphase, une langue raffinée, une voix narratrice cultivée, désabusée, peut-être un peu snobe, mais jamais cynique ni sarcastique, qui joue sur le littéraire et sur le pastiche, avec d’hilarantes conversations faites de lieux communs, qu’on soit dans le train (« Le brouillard à la sortie d’Angoulême est énorme, enfin spécial, ça arrive quelquefois, poursuit-il malgré les secousses »...) ou plus tard dans un salon de riches (« Il était quand même pas mal, ce Rauschenberg, dit la 2. Je le regrette déjà. C’est vrai qu’il y a quelque chose, dit la 1, ça me rappelle – en beaucoup moins bien – les petites boîtes égyptiennes au Met » ou encore « Dis donc, si on veut se faire enterrer avec les Gilbert & George, il faut agrandir le caveau, coupe la 2. Rires. »).

 

Partant de l’original, 'Providence' (Paris : P.O.L., 2015), un recueil de quatre nouvelles, dont la dernière, qui donne le titre au livre, le texte scénique a changé l’ordre des nouvelles pour créer une dynamique scénique – permettant une progression dramatique du début jusqu’au paroxysme final – et a unifié les quatre nouvelles par l’utilisation d’un seul personnage, superbement interprété par Laurent Poitrenaux, à la diction précise et élégante, qui soliloque à travers divers avatars : un homme âgé ne comprend plus rien, un jeune homme devient une veille femme dans un salon de thé et connait un instant de plénitude, une jeune fille prend le train pour monter à Paris depuis Angoulême façon Lucien de Rubempré des 'Illusions perdues', et un personnage (dans tous les sens du terme, fictif ou personnage social) se retourne contre son auteur :

 

« Ah, si j’étais ton entraîneur. Tu verrais ça. On avancerait. Tu aimerais bien nager une deuxième fois dans l’indifférence avec moi. L’inconscient bien au chaud tout au fond. Te laisser dériver dans un océan de petites actions sans queue ni tête. C’est trop tard, tu as trifouillé les voix. Tu t’es entendu toi-même à haute voix. C’est interdit. Tu as touché aux âmes. C’est un crime. Tu vas payer ».

 

La scénographie est simple, une sorte de salon d’un homme entre deux âges au début du XXIe siècle, un décor minimaliste sans être totalement froid ou inconfortable, où deux anciens magnétophones encadrent un canapé simple et élégant derrière lequel un grand cadre figure à la fois un quelconque tableau abstrait et sert d’écran pour la magnifique scène finale qui joue sur un dédoublement et un reflet. Il y a aussi une sorte de vestiaire en fond de scène qui permet au comédien de se changer à vue et de passer à une autre nouvelle, ce qui rend les transitions fluides et imperceptibles.

 

Une réussite.

 

©Sergio Belluz, 2017,  le journal vagabond (2017).

 

Photos © Pascal Gely

 

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08/02/2017
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