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Pasolini, le personnage

Il n’y a pas à dire: Pasolini est un personnage. Un artiste. Un ascète. Il n’y a rien de lui qui soit inutile ou frivole. Tout est intense chez lui.

 

Et tout nous parle aujourd’hui encore: la résistance au conformisme, à la facilité, aux médias, à la consommation, la rage de vivre jusqu’au bout une vie digne d’être vécue, une vie consciente, une vie pleine. Un message qui frappe d’autant plus ici en Espagne que la crise y a fait aussi des ravages, ramenant les éternelles questions sur l’économie, capable de massacrer les peuples...

 

Je pensais à ça en assistant au passionnant ‘Who is me. Pasolini (Poeta de las cenizas)’, un montage de textes de Pasolini, réunis et mis en scène par le dramaturge Álex Rigola et joué par le comédien Gonzalo Cunill dans le cadre de L’Institut del Teatre de Barcelone et du GREC, le Festival de Théâtre de Barcelone.

 

Álex Rigola part d’un poème inédit, retrouvé à la mort du poète:

 

Et aujourd’hui je dirai qu’il ne faut pas seulement s’engager en écrivant, mais en vivant:

Il faut résister grâce au scandale

Et avec la rage, plus que jamais,

(ingénus comme des bêtes) à l’abattoir,

aliénés comme des victimes...

 

Pour cette occasion, il nous était proposé « d’entrer dans une caisse servant à transporter des oeuvres d’art, dans laquelle nous gardons, jalousement et avec délicatesse Pasolini et ses mots. Pier Paolo nous attend à l’intérieur pour nous laisser un peu de son monde, de sa personne, de sa lutte, de ses idées... qui continuent à être si nécessaires dans cette période que nous vivons. »

 

On peut se demander s’il était absolument indispensable de recourir à ce dispositif d’une grande caisse aménagée en petit salon pouvant contenir une vingtaine de spectateurs dans une sorte de veillée intimiste, pour voir le brillant comédien argentin Gonzalo Cunill interpréter le personnage de Pasolini en tant que résistant à l’aliénation de son temps et du nôtre – par les chaleurs qu’il faisait, l’idée de s’enfermer dans une boîte n’était a priori pas une priorité, et il me semble que ce texte aurait tout aussi bien pu être donné dans une petite salle. Mais peut-être qu’aucune salle n’était disponible, d’où l’idée de la caisse, placée dans une sorte de cave de l’Institut del Teatre...

 

C’est un détail, vite compensé par la simplicité et l’honnêteté de la mise en scène et du jeu: le comédien, en tenue de footballeur (d’après une photo de Pasolini dans le même costume), interprète Pasolini nous racontant sa vie marginale, et ambigüe, Pasolini pour et contre son père (un fasciste convaincu), Pasolini engagé politiquement côté communiste mais resté petit-bourgeois dans l’âme, Pasolini, intellectuel reconnu et pourtant fondamentalement étranger à l’intelligentsia, Pasolini écrivain, poète, cinéaste célèbre, mais aussi totalement marginal toute sa vie...

 

Grâce au talent et à l’accent de Gonzalo Cunill, comédien argentin (l’argentin, c’est de l’espagnol parlé par un Italien), ces textes, pourtant traduits en espagnol, gardaient toute la saveur et la force des originaux, en particulier la poésie de Pasolini, moins connue que ses films, ses romans ou ses textes théoriques, et pourtant si magnifique et si pure dans sa simplicité et dans son naturel, comme cet extrait de ‘La Realtà’ (La Réalité), écrit le 10 juin 1962 et paru chez Garzanti en 1964, dont je vous donne une traduction personnelle:

 

Io sono una forza del Passato.

Solo nella tradizione è il mio amore.

Vengo dai ruderi, dalle chiese,

dalle pale d’altare, dai borghi

abbandonati sugli Appennini o le Prealpi,

dove sono vissuti i fratelli.

Giro per la Tuscolana come un pazzo,

Per l’Appia come un cane senza padrone.

O guardo i crepuscoli, le mattine

su Roma, sulla Ciociaria, sul mondo,

come i primi atti della Dopostoria,

cui io assisto, per privilegio d’anagrafe,

dall’orlo estremo di qualche età

sepolta. Mostruoso è chi è nato

dalle viscere di una donna morta.

E io, feto adulto, mi aggiro

più moderno di ogni moderno

a cercare fratelli che non sono più.

 

Je suis une force du Passé.

Dans la seule tradition se trouve mon amour.

Je viens des ruines, des églises,

des retables, des bourgs

abandonnés sur les Apennins ou les Préalpes,

où ont vécu mes frères.

Je marche sur la Tuscolana comme un fou,

Sur l’Appia comme un chien sans patron.

Ou bien je regarde les crépuscules, les matins

sur Rome, sur la Ciociaria, sur le monde,

comme les premiers actes de l’Après-Histoire,

à l’aquelle j’assiste, privilège de scribe,

depuis l’extrémité de quelque âge

enfoui. Monstrueux est celui né

des entrailles d’une femme morte.

Et moi, foetus adulte, je rôde, je tourne en rond

plus moderne qu’aucun moderne

pour chercher des frères qui ne sont plus.

 

©Sergio Belluz, 2017, le journal vagabond (2017).

 

 

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30/07/2017
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